Théâtre
Le Secret
Leur mère est là, sur le sol de la cuisine, morte. Trois enfants, deux filles et un garçon, de onze à seize ans. Alerter les secours, la police ? « Quand ils verront qu’on est seuls, que maman est morte, ils téléphoneront à l’école, à la mairie, à l’assistante sociale, aux psychologues et... » La fratrie sera peut-être dispersée et leur vie complètement chamboulée. Alors ? « …On continue à faire exactement comme d’habitude. » Aussi longtemps que possible pour demeurer ensemble, tous les trois. Le Secret. Voici ce qu’ils vont partager : un lourd secret. Mais si les adultes ne sont pas toujours marrants, ils sont indispensables. Thomas Howalt (né en 1961) le rappelle dans cette pièce incisive et plus optimiste qu’on pouvait le craindre, au vu du sujet. « En vrai, elle n’est pas du tout morte. C’est juste un jeu. Tout d’un coup, un jour… on se réveillera. Un dimanche, ça sentira les œufs au bacon, le jus de fruit et le pain grillé dans toute la maison. Et maman sera là, elle chantera. »
* Thomas Howalt, Le Secret (Hemmeligheden, 2007), trad. Catherine Lise Dubost, Éditions Théâtrales (Jeunesse), 2016
La Petite fille aux allumettes
Libre adaptation théâtrale du conte d’Andersen, La Petite fille aux allumettes de Joachim Latarjet prend l’époque contemporaine pour cadre. Musicien, acteur et metteur en scène, Joachim Latarjet (né en 1970) explique ici, non sans humour, comment susciter l’empathie. Car des recettes simples de marketing existent, que la petite orpheline ou n’importe quel autre mendiant désireux de récolter plus de quelques piécettes peut mettre en œuvre. « Pour que les gens te donnent des sous il faut donner aux gens envie de te donner des sous et pour donner envie aux gens de te donner des sous il faut respecter quelques règles élémentaires. » À savoir : être propre et ne pas pleurer. « C’est très important l’apparence. » Mais « quand j’ai faim je peux pas penser à autre chose », réplique la Petite fille, terre à terre. Une pièce courte et décalée, plutôt fidèle à l’esprit du conte.
* Joachim Latarjet, La Petite fille aux allumettes, Koinè (Théâtre jeune public), 2017
Service Suicide
Une adolescente en proie au mal de vivre, un vieillard dans une maison de retraite qui ne veut pas devenir grabataire, ou encore un étranger débouté du droit d’asile après plusieurs années sans souci et qui « supplie Dieu de (lui) accorder un permis de séjour permanent ». Autant de personnages qui décident d’en finir avec la vie et auxquels Christian Lollike donne la parole dans Service Suicide. Exposant les motifs des uns et des autres, c’est une sorte de catalogue du suicide qu’il offre au public, lequel pourra ensuite s’adresser à une agence nommée Dignitas qui assure « la préparation au décès et l’aide juridique ». Pouvoir choisir de mourir et pouvoir le faire dans la dignité devrait être un droit et ce texte permet d’envisager différents aspects des choses. Songeons qu’il y a « le suicide silencieux. Le suicide réfléchi. Le suicide mélancolique, le suicide cynique, le suicide discret. Il y a le suicide comique et le suicide impudique, le suicide sexy et le suicide dramatique. Il y a le suicide rapide et le lent. Le suicide calculé et le maladroit », parmi quantité d’autres. Né en 1973, acteur et metteur en scène, Christian Lollike a notamment signé l’adaptation théâtrale de Dogville, le film de Lars Von Trier. Service suicide : à découvrir avant de mourir car « il faut remplir ses jours de vie et non sa vie de jours ».
* Christian Lollike, Service Suicide (Service Selvmord, 2006), trad. Catherine Lise Dubost et Emmanuel Limal, Éditions Théâtrales (Maison Antoine Vitez), 2012
Histoire à venir
Histoire à venir est une pièce signée Christian Lollike. « Je rêve seulement de pouvoir – rien qu’une seconde – arrêter le monde. J’entends presque le soupir universel qui monterait du fin fond de l’âme dissolue de l’humanité. Un soupir qui se répandrait de la Chine jusqu’en Afrique pour se poursuivre jusqu’en Amérique et en Europe. Les gens s’arrêteraient, descendraient des voitures pour s’embrasser. C’est ça mon rêve. » Un personnage principal : Elle (on ne connaît pas son prénom, on ne sait pratiquement rien d’elle), qui conduit un taxi dans une grande ville, peu importe laquelle. Ses passagers sont divers et bavards : un marchand d’art, un fantôme, un homme politique... Elle rêve mais a peur aussi, peur de s’aventurer au volant dans certaines rues ou d’embarquer certains passagers dans son véhicule. « …Après tout, ce qu’on cherche, c’est réussir sa vie, non ? » résume-t-elle. Qui est-elle ? Que signifie réussir sa vie pour quelqu’un comme elle, obligée d’exercer ici ou ailleurs, peut-être au Bangladesh, peut-être en Irak, les boulots les plus ingrats, les plus dangereux ? La vie, comme une œuvre d’art ? Comme une « mise en scène sacrificielle » ? Et l’Europe, comme un territoire assiégé par des « affamés » ? Histoire à venir –ou « l’histoire de l’avenir ». Une pièce forte, à lectures multiples.
* Christian Lollike, Histoire à venir (Fremtidens historie, 2009), trad. Catherine Lise Dubost, Éditions Théâtrales (Maison Antoine Vitez), 2011
Il est assis près du creuset
Il ne faut pas oublier, prévient le traducteur, Vincent Dulac, avant de donner la pièce de Kaj Munk à lire, que celle-ci « a été écrite du 20 au 23 janvier 1938 (…) et qu’elle est le reflet des préjugés et de la folie de son temps ». Kaj Harald Leininger Petersen (1898-1944), dit Kaj Munk, pasteur luthérien, fut en effet d’abord attiré par le fascisme et le nazisme, avant, le Danemark occupé par les troupes de Hitler, d’appeler à la résistance et d’être abattu par la Gestapo un jour de janvier 1944. Son corps fut ainsi retrouvé dans un fossé, près de Silkeborg. En français on ne trouvait de lui qu’une pièce, Ordet (éditions Esprit ouvert, 1996), que le cinéaste Carl Theodor Dreyer avait adapté en 1955, et un essai qui lui est consacré, L’Univers imaginaire de Kaj Munk (PUN, 1994) de Marc Auchet. L’action de ce drame en cinq actes, Il est assis près du creuset (le titre est une référence biblique), se déroule en Allemagne, en 1930. L’archéologue Ernst Mensch et Mlle Schmidt, son assistante (au parcours peu crédible), font une découverte archéologique qui les stupéfait : « un portrait du Christ qui prouve qu’il était juif ». Le pouvoir nazi tolérera-t-il son annonce ? Les choses ne sont pas si simples car Dorn, un collègue de Mensch, voit des Juifs partout et privilégie l’antisémitisme à la recherche scientifique. Mensch est directement touché. « Un jour viendra, professeur, où nous serons tous délivrés de ce maléfice », lui dit le docteur Helm, qui, lui, doit abandonner la direction de la bibliothèque parce que Juif. Et le professeur Mensch, qui voit en Hitler un nouveau messie (« un homme était venu et quelque chose allait s’accomplir. Et quelque chose s’est accompli... ») de répondre : « Je vous prie de quitter ma maison ! » L’atmosphère de l’avant-guerre en Allemagne est exposée, directement, Kaj Munk (que l’on pourrait comparer à un Georges Bernanos) montre des personnages ne doutant pas du bien-fondé de l’antisémitisme, jusqu’à Hitler brièvement mis en scène. Un fort drame, écrit en 1938 et dont la fin est d’un optimisme forcément tout relatif. À lire, à jouer, pour mieux comprendre certains parcours de l’époque.
* Kaj Munk, Il est assis près du creuset (Han sidder ved smeltediglen, 1938), trad. Vincent Dulac, Cupidus Legendi, 2020
Souliers rouges
Cette pièce, Souliers rouges, est directement inspirée de l’œuvre et du personnage de H. C. Andersen. L’écrivain est mis en scène sous le nom de Tristan Dersen (« spécialiste en histoires cruelles ») et ses deux acolytes, les souliers rouges, se nomment Patrick et Lantrick. Il va entreprendre de raconter l’histoire d’une petite fille qui désire porter les souliers rouges que lui a légués sa maman, aujourd’hui décédée. « L’histoire d’une petite fille très malheureuse qui deviendra encore plus malheureuse. » Parce qu’Andersen n’en finira jamais d’inspirer notre imaginaire...
* Aurélie Namur, Souliers rouges, Lansman, 2015
Le Bout du monde
Xenia, hôtesse de l’air, est de retour chez elle, dans sa petite ville, après une assez longue période d’absence. Mais elle ne reconnaît plus les lieux et les habitants sont étranges. « Comment tout ce qu’on connaît peut-il disparaître, comme si rien n’avait jamais existé ? » Elle voudrait retrouver son foyer mais chaque geste fait dans ce but l’en éloigne. Son ton est de plus en plus pressant. Hélas, les personnes qu’elle croise n’en ont cure et finalement, Xenia s’installe dans cette société nouvelle dont l’objectif est de « fabriquer l’humain parfait ». Le Bout du monde est une pièce anxiogène, créant un univers qui, s’il n’est pas le nôtre, y ressemble beaucoup et sème facilement le trouble. On se dit qu’il suffirait de faire un pas de côté pour se perdre dans cette ville dans laquelle erre Xenia avant de se retrouver en prison. « …Je suis vieille, maintenant. Je ne me souviens plus comment les choses s’appellent. Les mots disparaissent… » Née en 1955, d’abord actrice, Astrid Saalbach a signé de nombreuses pièces, certaines pour la radio, d’autres pour le théâtre. Elle a publié également des nouvelles et des romans. Elle a obtenu, pour Le Bout du monde, en 2004, le Nordisk Dramatikerpris (Prix nordique de dramaturgie).
* Astrid Saalbach, Le Bout du monde (Verdens ende, 2003), trad. Catherine Lise Dubost, Éditions Théâtrales/Maison Antoine Vitez, 2007
Semelle au vent
Adaptée librement du conte de Hans-Christian Andersen intitulé Le Compagnon de route, adoptant un ton très actuel, cette pièce de l’auteure et comédienne suisse Mali van Valenberg, Semelle au vent, est plutôt destinée à la jeunesse. Quoi que… (« Je suis tendu comme un string » !) Devant son père mourant, le jeune Johannès apprend qu’une princesse l’attend au sommet d’une montagne. « Regarde mon enfant/Comme la montagne est belle/Dans sa robe de dentelle/Ta fiancée t’attend ». Il se met en route et divers personnages l’accompagnent (un « marionnettriste », le « soleil bluesy », « l’oiseau de passage »…), un peu façon Alice au pays des merveilles. Le ton est enjoué, rapide, loufoque et néanmoins très terre à terre. Il n’est pas difficile de rentrer dans la quête initiatique que Mali van Valenberg nous propose là. On est finalement assez loin d’Andersen mais le charme joue, c’est le principal.
* Mali van Valenberg, Semelle au vent, Lansman, 2017