Jeunesse

Alors je me suis mise à marcher

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L’éditeur oublie de le rappeler dans sa brève présentation de l’auteur, mais Kim Fupz Aakeson (né en 1958, par ailleurs cinéaste) a déjà signé de bons albums traduits en français : Grand-père est un fantôme ou Le Monsieur, la dame et quelque chose dans le ventre, illustrés par Eva Eriksson (publiés à L’École des loisirs). Alors je me suis mise à parler rassemble quatorze courtes nouvelles, toutes relatant une anecdote ou un moment crucial dans la vie d’une adolescente. Toutes disent sans dire, en quelque sorte, pour preuve la première, « Entre filles », quand un père, veuf, rentre un soir chez lui avec une femme, laquelle préfère discrètement s’en aller lorsqu’elle fait la connaissance de sa fille. Quatorze nouvelles qui tracent le portrait de jeunes garçons ou de jeunes filles d’une quinzaine d’années, comme les autres, avec des parents et des copains-copines comme les autres aussi et tous les petits problèmes qui vont avec… Sans oublier ces premières fois qui marqueront à jamais :

« - C’était rapide, j’ai dit.

- Tu sais comment c’est, il a répondu, en se battant avec le bouton de son pantalon.

Je me suis levée et j’ai simplement mis ma culotte dans mon sac. J’étais prête à partir avant lui.

- En fait, je vais dans l’autre direction, a-t-il dit en tendant un bras d’un côté.

- Je croyais que tu voulais me raccompagner ? »

 

* Kim Fupz Aakeson, Alors je me suis mise à marcher (Jeg begyndte sådan set bare at gå, 2011), trad. Aude Pasquier, La Joie de lire (Encrage), 2016

 

La Reine des neiges

La reine des neiges

Nous connaissons tous, ou croyons connaître, ce conte, l’un des plus fameux de HC Andersen, La Reine des neiges. Pourtant, le relire ici, superbement illustré par Aliocha Gouverneur, nous le restitue dans sa version initiale. Car les studios Disney ont sévi, et le conte que les enfants ont vu au cinéma, à la télévision ou sur un écran d’ordinateur n’a plus qu’un lointain rapport avec l’œuvre de l’écrivain danois. « ...Nous avons parmi nos personnages un vilain merle, le plus méchant de tous, le Diable ». Ainsi Andersen commence-t-il à nous conter l’histoire du jeune Kay, qu’un éclat de verre que le diable a brisé atteint à l’œil – « l’atome funeste a pénétré jusqu’au cœur, qui va se racornir et devenir comme un morceau de glace ». Son caractère transformé, se laissant gagner par une humeur massacrante, il délaisse sa si chère amie Gerda pour rejoindre celle qui n’est que son ennemie cachée, la Reine des neiges. La suite du conte a fait haleter des millions de jeunes lecteurs et de non moins nombreux adultes : c’est en demeurant « enfants par le cœur » que l’on peut espérer entrer « dans le royaume de Dieu ». Pleine page ou sur deux pages, les illustrations d’Aliocha Gouverneur (né en 1987 à Paris) sont de véritables œuvres d’art, inspirées par la glace et la neige des contrées nordiques, associées à un Art nouveau qui se marie à merveille avec la sensibilité d’Andersen. Une page est en papier calque et permet de distinguer un détail de l’illustration suivante ; plus loin, des « petits soldats de bois » – et non de plomb, montent la garde devant une maison au bord d’une rivière. Peut-être peut-on juste reprocher à l’illustrateur de s’éloigner excessivement de l’univers d’Andersen pour se rapprocher de celui des Mille et une nuits ou de la Baba Yaga, voire, quand l’histoire prend la Laponie pour cadre, des Amérindiens. Le conte est certes « un classique mondialement connu » mais il se passe au pays de l’hiver froid et des rennes, ce qui explique l’intrigue. Interprétation toute personnelle, donc, qui ne gâche cependant rien.

* Hans Christian Andersen, La Reine des neiges (Snedronningen, 1844 ; ill. Aliocha Gouverneur), Albin Michel, 2022

La Petite sirène

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« Loin, très loin dans la mer, l’eau est aussi bleue que les pétales du bleuet le plus beau, aussi claire que le verre le plus pur, mais elle est très profonde (…) : il faudrait superposer des clochers en quantité pour que les abysses rejoignent la surface. Et c’est là, tout en bas, qu’habite le peuple de la Mer. » Classique parmi les classiques de la littérature jeunesse, le conte d’Andersen La Petite sirène est aujourd’hui proposé aux lecteurs dans une nouvelle traduction de Jean-Baptiste Coursaud, illustré par Benjamin Lacombe. Une vraie réussite. Traducteur de plus de cent cinquante titres de la littérature danoise et norvégienne, Jean-Baptiste Coursaud y va aussi d’une préface/postface explicative, lui permettant de mettre en avant les prétendues ambiguïtés de la sexualité de l’écrivain danois. Hétérosexuel, Andersen, comme se sont efforcés de démontrer les critiques et les spécialistes de son œuvre ? Ou homosexuel, comme une lecture fine de ses contes permet de le suggérer ? Ou tantôt l’un, tantôt l’autre ? Les discussions se poursuivent. Ce qui est sûr, c’est qu’aucune femme n’a jamais trouvé une place ancrée dans sa vie, tandis que nombre d’hommes s’y sont incrustés. La préférence de l’auteur se dévoile ainsi en creux. Ce conte, La Petite sirène, est à ce titre révélateur, comme l’affirme le traducteur : « Pourquoi devons-nous apprendre depuis plus de cent ans que la petite sirène est Louise Collin et le prince Andersen alors qu’il est en fait la petite sirène et Edvard Collin le prince – Edward, qu’il a aimé éperdument ? » Outre cette intéressante réflexion, ne manquons évidemment pas de souligner la qualité des illustrations. Jouant volontairement avec les touches glamour auxquelles le conte se prête, notamment le bleu, le rose et toutes les nuances du violet, donnant à l’héroïne des traits androgynes (cf. par exemple l’illustration de la page 59), Benjamin Lacombe se livre là à une réelle lecture inédite, loin des niaiseries dysnéiennes. « Je me rappelle bien (…) la version de 1989 de Disney », écrit Benjamin Lacombe dans sa présentation, « toute en outrance, couleurs et flamboyance. Bien que le scénario fût lissé, une dimension ambiguë nourrissait le dessin animé... » Cette ambiguïté nourrit toute l’œuvre d’Andersen, permettant une infinité de nouvelles lectures. Sans, certes, la repérer, les jeunes lecteurs en sont friands, tout autant que les adultes qui ne savent souvent trop que penser. Preuve de leur apogée, les contes d’Andersen peuvent ainsi se lire et se relire, une vie durant, sans procurer un sentiment d’ennui. « Devoir se conformer aux attentes des autres, de la société, sans y parvenir est un sentiment que j’éprouve moi-même depuis mon enfance, et encore aujourd’hui », avoue l’illustrateur, révélant le lien fort qui l’unit à l’écrivain. La fin du conte est d’ailleurs celle proposée par Andersen dans sa première version, en 1837, et non celle retenue par la suite, plus conforme aux opinions majoritaires d’alors. « À lire avec empathie... », conclut encore Benjamin Lacombe. Avec ce conte comme avec tous ceux qui composent son œuvre, le talent d’Andersen, on le voit, traverse allègrement le temps.

* Hans Christian Andersen, La Petite sirène (Den lille havfrue, 1837 ; trad. Jean-Baptiste Coursaud ; ill. Benjamin Lacombe), Albin Michel, 2022

Poucette

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Une femme qui ne peut pas avoir d’enfant va voir une « vieille sorcière » qui lui remet « un grain d’orge qui n’est pas de la même nature que ceux qui poussent dans les champs et que mangent les poules ». Ainsi naît « une toute petite fille, à peine haute d’un pouce » : Poucette. Mais un vieux crapaud l’enlève pour la donner en mariage à son fils. Poucette se sauve et rencontre une souris, qui lui présente une taupe. Laquelle veut également l’épouser. Poucette n’est pas emballée, comment refuser ? Heureusement, une hirondelle qu’elle avait sauvée du froid l’emmène « bien loin au-delà des montagnes, où le soleil brille encore plus beau qu’ici, où l’été et les fleurs sont éternels... » Les contes d’Andersen défient le temps, ils se moquent aussi des lieux où ils sont lus. Ils semblent être de toute éternité. Tout comme les autres, celui-ci, Poucette, évoque des problèmes contemporains : quelle est la place faite aux femmes dans nos sociétés, de quels droits disposent-elles ? Ou encore, comment sont perçus les individus différents des autres ? Réalisées à l’aquarelle et à la gouache, les illustrations de Mette Ivers (d’origine danoise, née en 1933 à Boulogne-Billancourt, elle fut la compagne d’Albert Camus et du dessinateur Jean-Jacques Sempé) soulignent, comme elle sait si bien le faire (cf. aussi son travail pour Astrid Lindgren et quantité d’auteurs pour la jeunesse) les propos d’Andersen, sans en rajouter. Les personnages de l’écrivain prennent vie dans un univers bariolé, gentiment fantastique, où tout est à l’échelle de l’héroïne. Un classique parmi les classiques, à destination tant des enfants que des adultes.

* Hans Christian Andersen, Poucette (trad. David Soldi ; illus. Mette Ivers), L’Étagère du bas, 2022

Le Vilain petit canard

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Qu’ils soient jeunes enfants ou adultes, les amateurs de pop-up se réjouiront de tenir entre leurs mains cette version du Vilain petit canard d’Andersen (dommage que le nom de l’auteur ne soit pas indiqué sur le volume, ni en couverture ni ailleurs : un classique parmi les classique devient ainsi du domaine public !). L’histoire est ici abrégée et adaptée mais reste fidèle à l’originale. Le petit canard qui se croyait moche et condamné à être rejeté découvre qu’il est en réalité un cygne, « le plus beau de tous ! » Huit pop-up « magiques » permettent de faire connaissance avec « l’étrange caneton » lorsqu’il sort de l’œuf, puis au long de sa vie et enfin lorsque, se mirant dans une flaque d’eau, la métamorphose lui apparaît. Les jeunes enfants plongeront avec plaisir dans les pages découpées de ce livre de petit format, aux illustrations couleurs pastel.

* H. C. Andersen, Le Vilain petit canard (trad. Cécile Breffort ; adapt. Carolina Zanotti ; ill. Lá studio), Nuinui, 2022

Le Vilain petit canard

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« Il était une fois une maman cane qui couvait patiemment ses œufs. Bientôt, les premières coquilles se fendirent et de chaque œuf sortit un adorable caneton. Cependant, il restait un œuf bien plus grand et bien plus foncé que les autres. Alors maman cane continua à le couver, tout en se demandant si cet œuf était bien à elle. » Ainsi commence Le Vilain petit canard, aux éditions ACCÈS, une référence dans le monde de l’éducation. On ne compte plus les versions de ce conte d’Andersen, l’un des plus célèbres de l’écrivain, classique de la littérature jeunesse et adulte toujours à redécouvrir. La version proposée par Léa Schneider (née en 1987, auteure de plusieurs ouvrages chez le même éditeur) et l’illustratrice Emmanuelle Halgand (née en 1977) enchantera les très jeunes lecteurs. Les adultes apprécieront, eux, la leçon qui émerge de ce texte, ici fortement résumé. Les illustrations sont sobres, avec des formes simples et des couleurs franches, ce qui permettra aux enfants d’entrer dans le conte sans laisser trop vagabonder leur imagination. Un album sans âge, très sympathique.

* Léa Schneider/Emmanuelle Halgand, Le Vilain petit canard, ACCÈS éditions, 2021

 

L’Ombre

« Alors l’étranger se leva, et l’ombre sur le balcon opposé se leva aussi ; l’étranger se retourna, l’ombre aussi ; et si quelqu’un eût observé, il eût pu la voir aller droit à la porte entr’ouverte du balcon opposé, pendant que le savant entrait dans sa propre chambre, et laissait retomber les rideaux. » Son ombre ne revient pas, sinon plus tard, bien plus tard et l’homme, médusé, devient lui-même l’ombre de son ombre. Ce n’est pas du Jacques Brel mais un conte assez peu connu de HC Andersen. « ...(L’ombre) s’imagine être devenue un homme réel, et que moi je suis son ombre. » Datant de 1847, L’Ombre avait été publié en français en 1897 dans le supplément littéraire de l’hebdomadaire anarchiste dirigé par Jean Grave, Les Temps nouveaux. C’est cette version qui est ici proposée, magnifiquement illustrée par la Danoise Helle Vibeke Jensen (née en 1960). L’illustratrice pratique le collage à partir de vieux papiers et de catalogues publicitaires découpés, d’éléments photographique et de motifs retravaillés par ordinateur. Du beau travail, qui montre qu’Andersen n’était vraiment pas qu’un auteur pour les enfants – qui sommes-nous, au-delà des apparences, des identités factices ? Un conte d’actualité, à l’heure d’Internet et du virtuel,...

 

* Hans Christian Andersen, L’Ombre (ill. Helle Vibecke Jensen), Densité (Jeunesse), 2020

 

 

 

Hans le balourd

Hans le balourd n’est pas le plus connu des contes d’Andersen, mais il est sans doute l’un des plus significatifs de son œuvre. Hans, comme le premier prénom de l’écrivain. Un vieux seigneur a deux fils. « Ils avaient tellement d’esprit que la moitié leur aurait suffi ! » Quand la fille du roi annonce qu’elle est prête à se marier, les deux jeunes hommes rivalisent d’ingéniosité pour gagner sa main. Mais c’est oublier... le troisième frère, qui « ne comptait absolument pas » car « il n’était pas aussi instruit que les autres », bien qu’infiniment plus ingénieux : Hans le balourd. Hans le balourd (publié ici avec un « petit dossier d’informations ») et Le Vilain petit canard sont deux contes qui n’ont rien à voir l’un et l’autre, si ce n’est qu’ils nous montrent chacun un personnage d’abord méprisé, avant d’apparaître comme un être de qualité. Andersen lui-même ? Apprendre à voir ce qui est dissimulé et (donc) respecter autrui : la quintessence de l’œuvre de l’écrivain.

 

* Hans Christian Andersen, Hans le balourd (adapt. Alain Serres ; ill. Régis Lejonc), Rue du monde (totemkili), 2019

Les Contes d’Andersen

Les éditions, en français, des contes d’Andersen ne se comptent plus, et ce, depuis leurs toutes premières publications. Souvent, avec des illustrations qui servent non seulement à refléter le texte mais aussi, à en donner une autre lecture ou à en montrer certaines facettes. Dans ce volume aujourd’hui publié par les éditions Circonflexe, Les Contes d’Andersen illustrés par les plus grands artistes, c’est une sélection d’illustrateurs et d’illustratrices (trop peu) de renom qui a été retenue. Certains avaient déjà enrichi de leur talent l’œuvre du Danois, d’autres non : Gustave Caillebotte, William Turner, Edgar Degas, Vincent van Gogh, John William Waterhouse, etc. Les choix ont été faits avec pertinence et un même conte peut ici être accompagné de plusieurs illustrations. Signées Hans Christian Harald Tegner, Carl Larsson et Anne Anderson, par exemple, pour La Petite fille et les allumettes ; ou Alexander Koester, Pietro Longhi, Théophile Alexandre Steinlein, parmi d’autres, pour Le Vilain petit canard. Un très beau volume, auquel il ne manque qu’un court appareil critique (les brèves notices biographiques ne sauraient suffire), histoire de présenter les travaux de ces artistes quelquefois peu connus ici.

 

* Hans Christian Andersen, Les Contes d’Andersen illustrés par les plus grands artistes, Circonflexe, 2018

Contes découpés

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Personnage multiple comme tous les auteurs de ce niveau-là, Hans Christian Andersen (1805-1875) est loin de n’avoir écrit que des contes destinés aux jeunes lecteurs. S’en serait-il tenu à cet exercice, qu’il aurait brillé, mais le Danois signa aussi plusieurs récits de voyages pertinents et une autobiographie, certes romancée, mais qui s’inscrit dans la littérature de son pays. Sait-on qu’il excellait également dans l’art du découpage ? Pour preuve, les Contes découpésque nous livrent les éditions Ion. (Il existait déjà, mais en danois et en anglais et difficile à se procurer ici, l’ouvrage richement illustré de Kjeld Heltoft, Hans Christian Andersen as an artist, The Royal Danish Ministry of Foreign Affairs, 1977.) Une quinzaine de silhouettes et de scènes artistiquement réalisées avec des feuilles pliées et découpées. Ce petit livre propose un choix, il pourrait être différent tant Andersen a laissé de ces œuvres, dont certaines sont exposées à présent au musée qui porte son nom à Odense, sur l’île de Fionie, au Danemark. Très bonne idée. Regrettons seulement l’absence de texte explicatif : il aurait été intéressant de montrer comment ces découpages prolongent les contes d’Andersen, sans jamais s’en inspirer directement. Un beau livre objet.

 

* Hans Christian Andersen, Contes découpés, ION, 2018

Udvalgte eventyr og historier/Contes et histoires choisis

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Cette édition bilingue et annotée par Cyrille François (maître d’enseignement et de recherche à l’université de Lausanne) des Contes d’Andersen entend, à partir d’une ancienne traduction française (celle de David Soldi, 1819-1884, écrivain français d’origine danoise, toujours utilisée en dépit des traductions ultérieures, notamment de Régis Boyer et de Marc Auchet), montrer comment l’œuvre de l’écrivain danois s’inscrit, de manière précoce, dans ce qui sera appelée la « percée moderniste » dans son pays. Force est, pour Cyrille François, d’affirmer d’emblée que si les textes de H. C. Andersen « sont célèbres dans le monde entier, (…) on connaît bien mal l’écrivain, confiné au rôle d’auteur pour enfants ». Ce qui est dommage car Andersen a signé une œuvre infiniment plus large, protéiforme, qui a relativement peu vieilli : récits de voyage, récits autobiographiques, romans, théâtre, poèmes. Mais en France, « la notoriété de l’auteur porte exclusivement sur sa production de contes ». L’auteur dépassé, l’auteur écrasé par une partie de son œuvre, ce n’est pas exceptionnel. Andersen en a souffert et en souffre toujours. Les observateurs de la littérature danoise, et nordique d’une façon plus générale, ne peuvent que rendre hommage à sa modernité, tant stylistique que par les sujets traités, et louer comment il a su renouveler le conte en tant que genre (il en a signé 156) et lui donner véritablement ses lettres de noblesse. « Avec des notes mettant les textes en relation avec les œuvres de ses contemporains, l’objectif de la présente édition est (…) d’éclairer le contexte de réception des contes d’Andersen pour rappeler que, s’ils peuvent être lus comme des textes destinés aux enfants, ils sont aussi l’œuvre d’un grand écrivain participant de la dynamique littéraire de son époque. » Grâce à l’introduction et aux nombreuses notes, variantes et annexes débordant d’érudition de Cyrille François, cette édition bilingue permet encore de comparer deux livraisons d’un même texte et de porter un regard aiguisé sur la conception de la littérature à une époque donnée. Un bel ouvrage pour tous les amateurs d’Andersen.

 

* Hans Christian Andersen, Udvalgte eventyr og historier/Contes et histoires choisis (trad. David Soldi ; édition critique Cyrille François), Classique Garnier (Littératures du monde, 22), 2017

La Petite sirène

La petite sirene

Si les traductions tant française (signée David Soldi, 1876) qu’anglaise (Jean Hersholt, 1949) ne sont pas nouvelles, cette adaptation bilingue du conte de H. C. Andersen, La Petite sirène, illustrée par Joseph Vernot, est remarquable. Avec sa chevelure d’ébène qui se déploie dans l’eau, son corps élancé en partie scintillant et terminé par une large nageoire, l’héroïne de ce conte acquiert, grâce au talent de cet instituteur de Besançon, une dimension nouvelle. Joseph Vernot s’inspire de l’Âge d’or de l’illustration, lorsque les livres dits pour enfants devenaient des œuvres d’art grâce à des artistes comme Edmund Dulac (autre célèbre illustrateur d’Andersen), Kay Nielsen (illustrateur de contes norvégiens) ou John Bauer. L’ensemble, dans cet album, est assez sombre, à l’instar des profondeurs de l’océan. Une belle occasion de redécouvrir l’un des plus fameux contes d’Andersen.

 

* Hans Christian Andersen, La Petite sirène (trad. en fr. David Soldi, 1876, et en ang. Jean Hersholt, 1949 ; ill. Joseph Vernot), Scutella, 2016

 

 

 

Que les contes les plus célèbres perdent, une fois publiés, le nom de leur auteur, pourquoi pas ? Ils font partie du patrimoine commun, celui de l’humanité, et la notoriété est peut-être à ce prix. Bien des contes d’Andersen sont depuis longtemps publiés sans que son nom soit indiqué en couverture ou à l’intérieur (quant à celui du traducteur, il peut avoir disparu dans les limbes de l’édition bien auparavant). Que ces contes soient adaptés, on peut dire aussi que c’est de bonne guerre, leur public initial n’est pas toujours celui de la prime jeunesse et la réalité du marché, hier comme aujourd’hui, fait que les contes se doivent d’atteindre avant tout les jeunes lecteurs. Mais qu’ils soient carrément transformés, leur sens initial tourné en ridicule, pour se conformer aux lois de ce dit marché, voilà qui est consternant et attristant. Observons ainsi ce qui est arrivé à La Reine des neiges, à présent produit Disney, avec une intrigue et des personnages qui n’existaient pas dans le conte originel. Si Andersen ne se retourne pas dans sa tombe !...

Contes d’Andersen

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Ce volume comprend une dizaine de Contes de H. C. Andersen (les plus connus), rassemblés et présentés par Gérard Lomenec’h (instrumentiste spécialiste de musique médiévale, auteur d’articles dans la revue Mythologie). Outre l’intérêt de présenter les diverses facettes du talent d’Andersen, qui, on le sait, ne s’adressait pas qu’aux enfants, cet ouvrage offre un choix intéressant des multiples illustrations qui ont agrémenté ces contes. Les noms les plus prestigieux côtoient ceux d’illustrateurs moins connus mais, en l’occurrence, non moins talentueux : Jiri Trnka, Jennie Harbour, Edmond Dulac, Georges Lemoine, Hans Tegner, William Heath Robinson, Theo van Hoytema, et d’autres, beaucoup d’autres. Les choix de Gérard Lomenec’h sont plutôt judicieux. Ces Contes d’Andersen, note-t-il en conclusion de sa préface, « nous révèlent les secrets d’un poète qui sut conquérir l’amitié des princes et le cœur des enfants ».

 

* Hans Christian Andersen, Contes (trad. D. Soldi ; présentation Gérard Lomenec’h), Ouest-France, 2016

Trois contes d’Andersen

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Hans Christian Andersen est toujours l’auteur nordique le plus publié dans le monde et, en l’occurrence, en France. Pour ses contes, la plupart du temps, bien que l’écrivain ait signé quantité d’autres textes. On ne compte plus les albums d’Andersen illustrés avec plus ou moins de talent, tous les éditeurs en possèdent à leur catalogue. Soulignons ici, chez Gallimard, la version de Lionel Koechlin (né en 1948 et auteur d’une centaine d’albums) de trois contes (La Bergère et le ramoneur, Les Habits neufs de l’empereur, La Princesse aux petits pois), dans ce style assez minimaliste aux nombreux à-plats cernés de pointillés qui lui est propre. Entre le dessin de presse (dont il a l’habitude) et l’illustration jeunesse, Lionel Koechlin colle donc bien aux textes d’Andersen.

 

* Hans Christian Andersen, Trois contes (La Bergère et le ramoneur, Les Habits neufs de l’empereur, La Princesse aux petits pois), trad. David Solni, ill. Lionel Koechlin, Gallimard (Giboulées), 2016

Andersen, Les Ombres d’un conteur

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Les biographies de Hans Christian Andersen ne manquent pas, mais celle de Nathalie Fergut (née en 1968) se démarque véritablement et parvient à nous emmener dans la richesse poétique de l’écrivain. Sans, à proprement parler, adopter une démarche biographique, l’illustratrice trace un portrait d’Andersen qui rompt avec celui présenté d’habitude. Sous forme d’un album, nous découvrons ici un Andersen habité par toutes ces âmes étranges que lui a léguées son cordonnier de père. Il va s’escrimer à leur donner vie sur le papier et, grâce à elles, à renouveler le genre du conte (jamais « bécasson », dit Nathalie Fergut). Andersen, on le sait, n’est pas seulement l’auteur de deux cents contes, il a signé également des romans, des poèmes et des récits de voyage, mais sa notoriété s’est faite surtout à partir de ceux-ci. « Lorsqu’on s’intéresse à la vie d’Andersen, ce qui frappe, c’est qu’elle ressemble à un conte de fée classique : le fils de pauvre qui par son courage et ses qualités morales, devient quelqu’un. (…) C’est un peu l’angle que j’ai choisi pour mon album : garder obstinément l’esprit de l’histoire magique, même – et surtout – quand les choses sont terriblement terre à terre… » affirme Nathalie Fergut, qui, non sans raison, s’intéresse ainsi plus aux états d’âme de l’écrivain qu’aux faits qui ont marqué sa vie. Ses illustrations sont majestueuses, elles replacent « Monsieur Andersen » parmi ses propres personnages et ses décors, elles montrent le caractère onirique de l’œuvre et la fragilité de l’auteur, « très touchant ». Sous formes de clins d’œil, elles redonnent à découvrir ces histoires que l’on croyait si bien connaître. Assurément l’un des plus beaux ouvrages aujourd’hui disponibles sur Andersen.

 

* Nathalie Fergut, Andersen, Les Ombres d’un conteur, Casterman, 2016

Le Grenier d’Andersen

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Est-il nécessaire de connaître au préalable les contes d’Andersen pour goûter l’adaptation qu’en fait Polly Vocher dans cette pièce, Le Grenier d’Andersen ? Oui et non. Car l’auteure prend beaucoup de distance tant avec les personnages qu’avec les intrigues de l’écrivain danois. On retrouve ici un « soldat » (Le Petit soldat de plomb), une « danseuse » (qui n’est qu’une silhouette découpée dans Le Petit soldat de plomb), une « bergère » et un « ramoneur » (La Bergère et le ramoneur, bien entendu), une « sirène » (La Petite sirène, mais ici elle ne « croit plus en l’amour »), et d’autres qui auraient pu figurer dans l’imaginaire d’Andersen. Ou qui y figurent, selon Polly Vocher, en filigrane. Avec dans le décor les toiles de Vilhelm Hmmershøi. C’est donc une véritable relecture que Polly Vocher effectue là, et de fait, il est possible de se laisser emporter en ne connaissant que trois mots des contes d’Andersen. L’humour peut aider, avec une morale de La Fontaine par-dessus. Pour preuve ce dialogue entre la « danseuse » et le « soldat » : « Danseuse : Cessez, mais cessez donc ! Je ploie sous le poids de tant de louanges et cela nuit à ma ligne./Soldat : Ce qui vous nuit ne révèle que davantage votre splendeur. Étoile parmi les astres ternes de ce grenier, vous illuminez ma vie./Danseuse : Oh très cher, très cher ! » Quant à la « bergère », elle ne voile pas son féminisme, ses réparties puisent dans le répertoire de la chanson pour clore le bec de la gent masculine, relayée par la « sirène », non moins remontée. « Qu’importe les chemins empruntés, s’ils mènent à la liberté. » Nouvelle maison d’édition associative, Bel et bien, propose cette adaptation théâtrale joliment illustrée par Les Grimm Twins, Barbara Lachi et Ayumi Makita. Un travail très intéressant à proposer aux enfants, notamment dans les écoles (dès le plus jeune âge), et à découvrir pour les nombreux amateurs de l’indémodable Andersen.

* Polly Vocher, Le Grenier d’Andersen (ill. Les Grimm Twins : Barbara Lachi et Ayumi Makita), Bel et bien (Écritures théâtrales d’enfance), 2020

 

Le Fleuve-serpent

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« La mère de Josina, Martha, aime ses huit enfants et déteste le fleuve. Elle a peur de lui. (..) De son eau glauque et trouble. Son plus grand désir serait de partir vivre ailleurs. » Mais le fleuve est là, dans ce pays d’Afrique, et rythme la vie de tout un chacun. Il salue les naissances et provoque les morts, souvent, il assèche, il inonde, selon son humeur. « Il est ce qu’il a envie d’être. Il fait ce qu’il a envie de faire. Les hommes sur ses berges peuvent l’implorer, le supplier, lui faire des offrandes. Ils peuvent le flatter et l’offenser, le maudire ou le complimenter, cela ne changera rien. Il se fiche éperdument des gens. » Chacun est soumis à ce qui semble être une volonté propre, celle du fleuve non moins farouche que les animaux qui vivent sur ses berges. Quand il est en cru, c’est la catastrophe, il faut se réfugier sur les toits ou dans les arbres et attendre un sauveur. Signé Bodil Bredsdorff (née en 1951, productrice et scénariste de programmes télévisés pour enfants), Le Fleuve-serpent est un roman subtil pour les adolescents sur le temps qui passe et son inexorabilité, sur la place de chacun dans le monde. L’intrigue – la crue d’un fleuve et ses conséquences immédiates – est des plus réduite mais le lecteur se laisse emporter par les postures des divers personnages. Une belle écriture pour une vision du monde pleine d’interrogations muettes.

 

* Bodil Bredsdorff, Le Fleuve-serpent (Slangefloden, 2005 ; trad. Jean-Baptiste Coursaud), La Joie de lire (Hibouk), 2012

Le Manège des animaux

Livre cartonné, au format vertical, avec à l’intérieur d’épaisses pages découpées permettant de construire des personnages, Le Manège des animaux de la danoise Michelle Carlslund peut être un beau cadeau pour un très jeune enfant. Crocodile, ours blanc, éléphant, renard, otarie, ces animaux font des gestes quotidiens (dire bonjour, danser, porter un seau), sur un tabouret, en bermuda rayé ou pieds nus... « Un livre à combinaisons multiples pour se raconter des histoires à l’infini », annonce la quatrième de couverture. Autrement dit, la créativité dès le plus jeune âge.

 

* Michelle Carlslund, Le Manèges des animaux, Auzou (éveil), 2020

 

 

 

Qui se cache dans le miroir ?

Un petit lion qui rugit, un petit hibou qui hulule, un petit koala qui s’endort... Voici quelques animaux que découvrira dans ce livre de Michelle Carlslsund et Celeste Morgan, Qui se cache dans le miroir ?, le très jeune lecteur. Avant d’observer son propre visage à la dernière page. Un éveil, selon le titre de la collection des éditions Auzou, vers d’autres ouvrages.

 

* Michelle Carlslund/Celeste Morgan, Qui se cache dans le miroir ?, Auzou (éveil), 2020

 

 

 

Le Garçon qui partit dans le Nord avec son père à la recherche du Père Noël

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De Kim Leine, en français, on connaissait déjà Les Prophètes du fjord de l’Éternité, ample roman prenant le Groenland pour cadre et un pasteur pour personnage principal (cf. critique sur ce site). Dans ce volume destiné aux jeunes lecteurs, Le Garçon qui partit dans le Nord avec son père à la recherche du Père Noël, l’auteur propose une belle histoire entre Andreas, un garçon qui « adorait Noël », et son père qui ne croit pas à l’existence du fameux livreur de cadeaux. « On ne fêtait pas Noël quand j’étais petit. Et je n’ai pas l’intention de m’y mettre aujourd’hui. » C’est « irrévocable ». Le Père Noël n’existerait-il pas tout de même ? Andreas insiste et son père finit par céder : pour vérifier qui a raison, tous deux entreprennent, avec leurs douze chiens de traîneau, un voyage qui se révélera initiatique vers « le Nord » du Groenland. Quand la vérité des enfants se confronte à celle des adultes… Soulignons la qualité du texte et celle des illustrations, signées Peter Bay Alexandersen. Un bien bel album.

 

* Kim Leine, Le Garçon qui partit dans le Nord avec son père à la recherche du Père Noël (Drengen der drog nordpå med sin far for at finde Julemanden, 2015), ill. Peter Bay Alexandersen, trad. Alain Gnaedig, Gallimard (Jeunesse), 2017

Où est partie Nina ?

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On trouve, traduits en français, nombre de romans de Jens Christian Grøndahl (né en 1959). Auteur aux talents multiples, il a signé (outre des romans publiés, ici, chez Gallimard, des essais, des pièces de théâtre et des pièces radiophoniques), un émouvant volume pour la jeunesse : Où est partie Nina ? (Med bedstemor i tidens labyrint, 2013 ; trad. Alain Gnaedig, illustrations Claire de Gastold, Gallimard jeunesse, 2014). Au travers d’un récit mêlant fiction et Histoire, Jens Christian Grøndahl parle du statut des Juifs au Danemark pendant la Deuxième Guerre mondiale, quand le pays était occupé par les nazis, et évoque l’action courageuse de toute la population. Grâce à la solidarité d’innombrables Danois anonymes, plusieurs milliers de Juifs, notamment des enfants, purent franchir l’Øresund, gagner la Suède, neutre, et être ainsi sauvés. Pour en savoir plus, il suffit d’emprunter « l’escalier du temps » de ce petit roman aigre-doux.

Sur le même sujet, on peut lire, de Lois Lowry, Compte les étoiles (Number the stars, trad. de l’ang. Agnès Desarthe, L’École des loisirs, 1990). Ou notre roman (élargi à la Suède et à la Norvège), Les Vikings contre Hitler (Thierry Maricourt, Le Calicot, 2019).

Le Chat aux yeux bleus

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« Un jour, un petit chaton aux yeux bleus et de bien bonne humeur partit à la recherche du pays aux nombreuses souris. » Mais il a beau marcher et courir, il ne le trouve pas. Les chats qu’il rencontre, tous avec des yeux jaunes, se moquent de lui. « Le petit chaton s’approcha d’une flaque d’eau et se regarda dedans. Il ne voyait pas en quoi c’était laid d’avoir les yeux bleus ni pourquoi il n’était pas un vrai chat. » Qu’importe. Quand un chien vient les attaquer, il lui saute sur le dos et caracole ainsi jusqu’à ce fameux pays. Où il se rassasie, devenant « gros et gras », avant de retourner prévenir ses frères félins aux yeux jaunes. « Allons vérifier, lancèrent les chats. Mais si ce n’est pas vrai, nous te les arracherons, tes yeux bleus ! » Quand tous sont repus, ils se rendent enfin à la raison. « « Nous avons compris que tu es comme nous, un chat qui peut avoir faim et être drôle, être maigre et être gros, trouver des champs de souris, et qui voit aussi bien que nous... » La morale de ce texte peut sembler ambiguë : les agresseurs (les chats aux yeux jaunes, la majorité) ne changent d’avis que lorsque l’agressé partage avec eux sa découverte. Comme s’il revenait à ce dernier de se disculper ! Classique de la littérature jeunesse danoise, Le Chat aux yeux bleus est réédité en français (après une première publication en 2010 aux éditions Circonflexe) grâce au travail de fond de la Bibliothèque nationale de France. Très célèbre artiste d’avant-garde au Danemark, Egon Mathiesen (1907-1976) a renouvelé la littérature destinée aux enfants avec des histoires simples porteuses d’un message de tolérance. « ...L’histoire n’est pas sans rappeler celle du Vilain petit canard d’Andersen, à cette différence près que Chaton, courageux, optimiste, enjoué et même taquin, ne fuit pas devant la discrimination mais tente de la démonter armé de son bon sens », observe Carine Picaud, directrice de collection, dans sa postface.

* Egon Mathiesen, Le Chat aux yeux bleus (Mis med de blå øjne, 1949), adapt. Catherine Nielsen, Bibliothèque nationale de France, 2022

Mimbo Jimbo et l’hiver sans fin

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Le printemps est annoncé et pourtant, la neige se met à tomber. Et pas quelques flocons mais en quantité, au point que le paysage en est recouvert. L’éléphant Mimbo Iimbo doit se mettre à la recherche de ses amis : Mumbo Jumbo, Frede, Guépard facteur, etc. Puis tous cherchent à comprendre ce qui provoque ces chutes de neige et à qui appartiennent les énormes traces qu’ils découvrent. Un bel album débordant de couleurs, en dépit du blanc de la neige à chaque page, et plein de personnages sympathiques. Comme si l’Afrique et le Danemark inventaient une histoire loufoque de concert. Jakob Martin Strid (né en 1972 et auteur de plusieurs ouvrages pour enfants, dont La Fabuleuse histoire de la poire géante, récemment adapté au cinéma) signe peut-être avec Mimbo Jimbo et l’hiver sans fin un nouveau classique de la littérature jeunesse.

 

* Jakob Martin Strid, Mimbo Jimbo et l’hiver sans fin (Mimbo Jimbo og den lange vinter, 2014), trad. Frédéric Fourreau, PKJ, 2018

Guerre

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Certains se souviennent peut-être de la première édition en français de ce texte de Janne Teller, Guerre : sous la forme d’un passeport (comme l’édition danoise), avec à l’intérieur des illustrations de Jean-François Martin. Il est aujourd’hui réédité dans une présentation, hélas, plus classique (et un peu moins cher). Janne Teller (née en 1964 et auteure de plusieurs livres dont certains sont traduits en français : L’Île d’Odin, Viens, etc.) imagine ici que la guerre ne prend plus de lointains pays comme la Syrie ou l’Afghanistan pour cadre mais l’Europe – et la France. « Où irais-tu ? Si les bombes avaient détruit la plus grande partie du pays, la plus grande partie de la ville ? Si les murs de l’appartement que tu habites avec ta famille étaient percés de trous, les vitres brisées, le balcon arraché ? » Transposer les conflits au plus près de ses lecteurs, autrement dit retourner les situations, permet à Jane Teller d’interroger ces lecteurs sur le droit d’asile, l’immigration, la pauvreté, les Droits de l’Homme… En bref, toutes les raisons de s’expatrier. « Vous aviez un bel appartement, deux voitures, une maison de campagne. Maintenant, vous n’avez rien. Vous n’êtes rien. » Le point de vue change : voir la douleur de loin ou la ressentir au plus profond de soi, ce n’est pas la même chose. Remarquons que Jane Teller, qui vient d’une famille de réfugiés austro-allemands installés au Danemark, décrit ici, initialement, une guerre entre pays nordiques : « inimaginable (du moins espérons-le », explique-t-elle en postface. La version française met en scène « un régime autocratique nationaliste à l’idéologie impérialiste ». La guerre, comme une grosse vague bleue marine qui détruit tout ?

 

* Janne Teller, Guerre (Hvisder var krig i Norden, 2002), trad. Laurence W. Ø. Larsen, ill. Jean-François Martin, (Les Grandes personnes), 2015

Tout est politique

« …Je n’ai jamais compris ce qu’il pouvait y avoir de mal à être ‘politique’ dans un monde politique. (…) N’y a-t-il pas quelque chose d’anormal, quelque chose de terriblement, de dangereusement anormal dans le fait que la recherche d’une compréhension de l’autre, à partir d’un sentiment d’empathie face à sa situation, soit perçue comme un signe de politisation ? N’avons-nous pas déjà dépassé les limites de notre propre humanité ? »(Janne Teller, postface in Guerre)

 

L’Amour des jaguars

L amour des jaguars

Publié une première fois en 1988 et aujourd’hui actualisé, ce roman pour enfants signé François Thiéry (né en 1952, auteur sous son nom et sous pseudonymes d’ouvrages principalement pour la jeunesse et sur le jardinage), L’Amour des jaguars, est une enquête policière qui prend la ville de Copenhague pour cadre. Les pages ne sont pas numérotées et le jeune lecteur, dans le rôle du détective, est invité à passer d’un chapitre à un autre au gré de sa progression dans la lecture. La visite de la capitale danoise se fait au fil de l’enquête, les personnages arpentent tous les lieux importants, les filatures et les rebondissements se succèdent. Pour les enfants qui aiment les jeux de rôles et qui ne veulent pas trop se casser la tête, à lire au cours du trajet jusqu’au Danemark.

* François Thiéry, L’Amour des jaguars, Posidonia (C’est toi... le détective), 2021

 

 

Les Copies

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Qui est qui ? Qui copie qui ? On peut disserter longtemps sur ce thème, déclinable à l’envie. Dans un monde qui ressemble en beaucoup de points à celui d’aujourd’hui, Jonas, un adolescent, découvre qu’il est un clone. Autrement dit, une « chose », qui en rencontre une autre prénommée Ian. Les deux personnages vont tenter de fuir : « Nous étions des copies, nous allions mourir, mais nous n’étions pas encore morts. » Signé Jesper Wung-Sung (né en 1971), Les Copies est un roman de science-fiction à lire entre deux épisodes de la série télévisée suédoise Real humans, peut-être.

 

* Jesper Wung-Sung, Les Copies (Kopierne, 2013), trad. Jean-Baptiste Coursaud, Rouergue, 2015