Biographies

Baronne Blixen

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Raconter la vie de Karen Blixen, personnage complexe, ne pouvait pas être tâche aisée. C’est pourquoi Dominique de Saint Pern a choisi de le faire de manière romanesque, même si les faits exposés ont eu lieu et que les personnes mentionnées ont existé. Le mot roman » sur la couverture permet l’indispensable recul et l’interprétation souhaitée. Tantôt en anglais, tantôt en danois, Karen Blixen (1885-1962) a raconté elle-même nombre de pages de sa vie. Songeons, bien évidemment, à La Ferme africaine, base du film Out of Africa de Sydney Pollack. C’est la réalisation de ce film qui sert de fil conducteur à la première partie du livre de Dominique de Saint Perm. Clara Selborn, qui fut des années durant la secrétaire particulière de l’écrivaine, est invitée au Kenya pour parler, avec Meryl Streep, l’actrice principale, de Karen Blixen : cette femme issue de l’aristocratie danoise qui tenta de vivre comme elle l’entendait. Assez peu sympathique à nos yeux, la « baronne » n’est pas exempte de contradictions, à resituer dans le contexte, dans l’époque. À ce nommé Ismaïl (seul personnage fictif de l’ouvrage, selon l’auteur) qui affirme aux membres de sa famille que Karen Blixen, qu’ils avaient servie, « était votre maîtresse, pas votre sœur », il lui est répondu qu’elle « a fait preuve de bravoure ». « Tu imagines, avoir tous ces Blancs contre elle ? » Karen Blixen était une femme blanche fortunée. Elle aurait pu se conduire comme les femmes blanches fortunées de son temps qui vivaient en Afrique : elles se retrouvaient entre elles et se livraient à des activités futiles, en entretenant sans sourciller le racisme en vigueur. Elle choisit, plutôt, de considérer les Africains avec bienveillance. D’aider à la scolarisation de leurs enfants. « Les Danois, les Scandinaves en général, n’avaient jamais possédé d’empire, ils admiraient la façon dont la société africaine fonctionnait alors que les Anglais avaient une perception coloniale des Africains. » La faillite de la ferme contraint Karen Blixen à revenir au Danemark, à se réinstaller dans sa famille. Conscience, en quelque sorte, de l’aristocratie européenne, « elle était la bouche de la sagesse et du passé », écrit Dominique de Saint Pern dans cette biographie très littéraire. Si son personnage appartient à une époque en grande partie révolue, son œuvre est singulière, puisant sans cesse dans l’autobiographie et, avec ses Contes, accordant au genre fantastique une place que les auteurs nordiques ont toujours boudée.

 

On lira également avec intérêt la biographie de Judith Thurman : Karen Blixen (Isak Dinesen. The life of a storyteller, 1982), trad. de l’américain Pascal Raciquot-Loubet, Seghers, 1986.

 

* Dominique de Saint Pern, Baronne Blixen, Stock, 2015

 

Le Temps de Tycho

Temps de tycho

La figure de l’astronome danois Tycho Brahé (1546-1601) n’est pas forcément des plus sympathiques, le bonhomme possédant un caractère acariâtre, et pourtant, elle ne cesse d’intriguer, d’intéresser, de trouver sa place dans notre monde contemporain. Il est vrai que le personnage a révolutionné les sciences de son temps, même si ses découvertes se réduisirent, plus tard, « au statut paradoxal d’erreurs provisoirement fécondes ». Un nouveau livre nous le présente, Le Temps de Tycho, de Nicolas Cavaillès (né en 1981, éditeur de Cioran dans la « Pléïade », traducteur du romain, romancier, essayiste). Avant tout, saluons ici l’écriture de l’auteur, savante et étonnamment légère, un régal de lecture : « À quelle hauteur fallait-il s’élever pour qu’une vie fragmentée, constamment tailladée par les trois aiguilles des horloges, s’estompât en une seule et même ligne, en un trait unique et homogène ? Pour parer leurs griffures continuelles, le destin de Tycho se tendit à l’extrême, vers les plus hautes cimes célestes... » Le portrait que signe Nicolas Cavaillès entraîne le lecteur dans l’intimité de l’astronome-astrologue – chez lui, dans ce palais fou bâti sur l’île de Hven, dans le détroit de l’Öresund. On le voit au milieu de ses gens, les paysans de l’île dorénavant tous à son service (ils travaillent « dans le sens des aiguilles du maître »), ou sa famille ou encore le roi du Danemark, généreux mécène. Puis Tycho Brahé doit partir, le nouveau roi n’entend plus subvenir à ses faramineux besoins. Le voici qui erre en Allemagne ou à Prague, d’un palais royal à un autre, avec les siens et de très volumineux bagages. « Au terme d’une vie passée à contempler l’espace et à se perdre au gré des orbites excentriques de son immensité réfractée, il devenait naturel de s’éclipser à son tour, de disparaître, de se dissoudre parmi le firmament comme une goutte d’eau dans l’océan... » Le temps de Tycho est un bel ouvrage pour qui ne craint pas de se perdre dans les méandres d’une riche pensée assujettie à l’essence même de la vie, le temps et l’espace.

* Nicolas Cavaillès, Le Temps de Tycho, Corti (Domaine français), 2021