N-O-P

Ta vie s’arrête ici

Ta vie s arrete ici

« La morphine agit vite. Mon corps meurtri se détend à mesure que les douleurs s’estompent. Je ferme les yeux et je remonte dans le temps. Il y a six ans, j’étais quelqu’un d’autre. Je pensais que ma vie serait tout à fait différente. » Ainsi Linda Andersson observe-t-elle sa propre vie au travers des derniers événements : elle est aujourd’hui incarcérée et, victime d’une grave agression de la part d’une codétenue, vient de subir une opération, enchaînée à son lit. De retour en cellule, sur les conseils d’une détenue plus âgée qu’elle et gravement malade, elle décide de se reprendre en main. Elle, la fille d’une vedette de la chanson de variété adulée en Suède, Kathy Andersson, lauréate du prix de l’Eurovision, elle, dont l’existence avait jusque-là été heureuse, le « Petit Rayon de Soleil » de sa mère et de son public, est aujourd’hui accusée de meurtre sur son époux. Ce qu’elle nie. « J’ai grandi avec d’immenses privilèges. Je suis une femme blanche née d’une mère riche et célèbre. J’ai été bien élevée, j’ai été une bonne élève à l’école. Bref, j’étais promise à un bel avenir. » Or, les choses n’ont pas tourné comme elle aurait pu s’y attendre. Un mari dont elle se lasse, et réciproquement. Un amant qui la trahit. Une sœur à laquelle elle ne peut guère se fier. Ta vie s’arrête ici est un bon roman policier, que l’on pourrait classer entre les romans « de procédure », ceux qui refont une enquête, et les romans psychologiques – qui est vraiment qui ? « Mon moi est déjà sur le point de se dissoudre, de se séparer du corps qui ne m’appartient plus. » Schizophrénie meurtrière ? Après Rien qu’à moi, Elisabeth Norebäck (née en 1979) prouve, avec Ta vie s’arrête ici, qu’elle est une auteure capable de jouer dans la cour des grands.

* Elisabeth Norebäck, Ta vie s’arrête ici (Nadia, 2020), trad. Anna Postel, Hauteville (Suspense), 2022

Rien qu’à moi

«  Elle a frappé, j’ai ouvert la porte et j’ai su aussitôt. » Stella Widstrand est psychiatre. Un jour, lorsqu’une nouvelle patiente pousse la porte de son cabinet, elle croit reconnaître sa fille, disparue vingt ans plus tôt et donnée pour morte. Mais son mari est sceptique et d’étranges incidents laissent penser qu’elle perd la tête. Présenté comme le premier roman de Elisabeth Norebäck, Rien qu’à moi entraîne vite le lecteur jusqu’à sa dernière page. Plus psychologique que policier, il n’est pas sans évoquer certains titres de Karin Alvtegen. Une impression de déjà lu, donc. Dommage également qu’il soit traduit de l’anglais et non pas directement du suédois.

 

* Elisabeth Norebäck, Rien qu’à moi (Säg att du är min, 2017), trad. de l’anglais Karine Forestier, à partir de la traduction du suédois de Elizabeth Clark Wessel, Milady (Suspense), 2019

Déluges

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Plusieurs enquêtes s’entrecroisent dans Déluges de Kristina Ohlsson. Un riche entrepreneur est retrouvé mort, une balle dans le torse, assis dans un fauteuil devant sa cheminée, dans sa luxueuse demeure de Stockholm. Ailleurs, une famille a disparu, ou un homme, entrepreneur de pompes funèbres, le pense et tente d’en convaincre la police avant d’être lui-même assassiné. Alex Recht et Fredrika Bergman sont chargés de faire la lumière. Fredrika s’est remise à jouer du violon, dans l’attente de la mort de son compagnon, Spencer, plus vieux qu’elle d’une grosse vingtaine d’années et atteint d’une tumeur non opérable au cerveau. Est-il vraiment l’homme qu’elle croit, en vient-elle à se demander au cours de l’enquête, lorsque des éléments troublants lui donnent à penser qu’il y est peut-être lié ? « Je remets tout en ordre. » Qu’est-ce que cela signifie ? Comme les précédents titres de Kristina Ohlsson mettant en scène ces deux principaux enquêteurs, Déluges est un bon roman, difficile à lâcher avant de l’avoir terminé.

* Kristina Ohlsson, Déluges (Syndafloder, 2017), trad. Françoise Heide, J’ai lu (Inédit), 2020

 

Les Otages du paradis

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Stockholm, début des années 2010. Quatre actes terroristes sont annoncés, en plein centre de la capitale suédoise, qui n’ont pas lieu. Puis la menace vise un avion qui vient de décoller, en partance pour les États-Unis. La libération d’un Algérien suspect de terrorisme et bientôt expulsé de Suède, et la fermeture d’un camp américain en Afghanistan, sont exigées. « Pourquoi un homme comme Karim Sassi menait-il à la catastrophe l’avion rempli de passagers dont il avait les commandes ? Qu’avait-il à voir avec Zakaria Khelifi et un établissement du nom de Tennyson Cottage ? Il devait exister un lien qu’ils n’avaient pas encore saisi. » Roman de cinq cents pages, Les Otages du paradis ne cesse de faire des allers-retours entre la cabine de l’avion, piloté par le terroriste, semble-t-il, et les diverses forces de police engagées dans cette affaire. On retrouve ici les personnages mis en scène dans les précédents romans policiers de Kristina Ohlsson, dont Fredrika Bergam et Alex Recht. L’auteure sait tenir le lecteur en haleine mais pourtant, nous ne voyons guère où elle souhaite l’emmener, sinon lui montrer combien la lutte contre le terrorisme est impossible.

 

* Kristina Ohlsson, Les Otages du paradis (2012), trad. Marina Heide, J’ai lu (Thriller/Inédit), 2018

Les Étoiles de David

« C’était comme si Stockholm, au cours de la nuit, était devenue une autre ville. Quelqu’un avait tiré sur une institutrice alors qu’elle se tenait au milieu de la rue, entourée de bambins. Et l’on était toujours sans nouvelles des deux jeunes garçons qui avaient disparu en se rendant à leur cours de tennis. » Meurtre antisémite, pour l’institutrice ? Ou lié à la pègre, à laquelle semble être mêlé son compagnon ? (Piste bien vite abandonnée, observons.) La disparition des deux enfants ne saurait être une coïncidence. Alex Recht est chargée de l’enquête, assistée de Fredrika Bergman. « Si Alex avait appris une chose dans la police, c’était bien celle-là : l’hypothèse qui paraissait la plus invraisemblable au premier coup d’œil finissait par s’avérer la seule logique. » La communauté juive vient de faire appel, elle, à un ancien policier que Recht a bien connu, Peder Rydh (évincé de la profession pour avoir tué le meurtrier de son frère). Comme dans les précédents volumes de Kristina Ohlsson, les faits s’enchaînent à la perfection, les personnages sont bien campés. Roman dense avec plusieurs pistes parallèles que suivent et la police et les services secrets, Les Étoiles de David prend pour cadre un Stockholm contemporain, avant d’entraîner le lecteur en Israël, où la légende du « garçon de papier » est censée prendre sa source. Les services secrets suédois, la Säpo, et israéliens, le Mossad, sont convoqués et compliquent l’enquête plus qu’ils n’aident à la résoudre. S’il y a bien un grand nom aujourd’hui dans le roman policier suédois, c’est celui de Kristina Ohlsson.

 

* Kristina Ohlsson, Les Étoiles de David (Davidsstjärnor, 2013), trad. Françoise Heide, J’ai lu, 2019

Séquence

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Un homme tente de se suicider en avalant des médicaments. Conduit à l’hôpital, il est enlevé par… On ne sait pas trop qui. Une puissance étrangère, sans doute, mais bientôt, ce n’est plus si évident. Ainsi commence le roman de Fredrik T. Olsson, Séquence (Slutet på kedjan, 2014), trad. Carine Bruy, Fleuve, 2015). Très vite on découvre que ce nommé William Sandberg est un spécialiste suédois du décryptage, habitué au « secret défense », et que l’énigme qu’on lui demande de résoudre est d’une gravité extrême. « S’il existait une menace concrète et majeure qui ne concerne pas qu’un seul pays. Si quelque chose était sur le point de nous arriver à tous et qu’on redoutait qu’il soit impossible de l’éviter. Si tel était le cas et qu’on voulait à tout prix empêcher le grand public de le découvrir. Alors, dans ce cas, peut-être. » Peut-être qu’une organisation placée au-dessus de l’ONU requerrait les services de William Sandberg. Donné pour un « roman policier », Séquence relève plutôt du roman de science-fiction ou du roman d’espionnage : quand l’Histoire de l’espèce humaine est inscrite dans ses gènes, jusqu’à sa disparition par le biais d’une terrible maladie. De l’action, il y en a, mais au-delà… ? Beaucoup de bavardage (plus de six cents pages), dirions-nous, pour ce qui est un scénario de film catastrophe. 

* Fredrik T. Olsson, Séquence (Ett vakande öga, 2016), trad. Carine Bruy, Fleuve (Noir), 2015

Dérivations

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On retrouve dans Dérivations, roman signé Fredrik T. Olsson, le personnage de William Sandberg déjà présent dans Séquences. Considéré comme « l’un des meilleurs cryptologue de la Défense », celui-ci se trouve pourtant, dans les premiers chapitres du livre, entre les mains de la police suédoise, qui le soupçonne d’être l’instigateur de la gigantesque panne d’électricité qui, quatre heures durant, a affecté « une grande partie de la Suède (…). Toute la côte est de Sundsvall jusqu’au sud » et plusieurs autres régions de la planète. Voici William Sandberg accusé de terrorisme et en fuite, pour prouver son innocence. Chercherait-il à se venger de son licenciement trois mois plus tôt ? De la disparition de sa fille Sara ? Ou plutôt, ne se retrouve-t-il pas impliqué à son insu dans un gigantesque complot visant à contrôler la pensée humaine. « Ils avaient découvert une clé capable de déchiffrer toutes les nuances qui se produisaient dans le cerveau, puis ils étaient parvenus à les traduire dans un langage intelligible. » Lire les pensées, une hypothèse folle ? À moins que, autre hypothèse non moins difficile à croire, Internet – le réseau Internet – ait acquis son indépendance et, tel un gigantesque cerveau implanté sur l’ensemble de la planète, se mette à vivre sa vie et à exprimer sa propre volonté ? À s’opposer à l’espèce humaine dont il craint les intentions ? « …Ils luttaient contre une conscience. Un moi impalpable qui avait décidé de prendre en otage presque soixante-dix centrales nucléaires à travers le monde ». Roman d’action prenant la Suède, la Grande-Bretagne et la Pologne pour cadre, roman de politique fiction, Dérivations est bien construit et le lecteur se laisse facilement entraîner. Fredrik T. Olsson s’aventure une nouvelle fois dans un domaine mêlant prospective sociétale et scientifique et enquête policière. Avouons que le résultat, fort de 750 pages, n’est pas décevant.

 

* Fredrik T. Olsson, Dérivations (Ett vakande öga, 2016), trad. Carine Bruy, Fleuve (Noir), 2017

Bäckström 2, Celui qui terrasse le dragon

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Leif G.W. Persson commence à posséder ici une solide bibliographie : ce nouveau roman, le deuxième de la série Bäckström, Celui qui terrasse le dragon, est aussi le huitième titre traduit du célèbre criminologue. Ses deux ouvrages directement consacrés à l’affaire Olof Palme (La Nuit du 28 février, réédité sous le titre d’origine, Entre le désir de l’été et le froid de l’hiver, et Comme dans un rêve) allaient au-delà du roman policier puisqu’ils émettaient une véritable théorie sur l’une des grandes énigmes de la vie politique et criminelle suédoise : la responsabilité des services secrets suédois dans la mort du Premier ministre. Cette série, en revanche, s’inscrit dans la fiction – bien que reposant sur la propre expérience de l’auteur. Son héros ? Le commissaire Evert Bäckström de la brigade de Solna, près de Stockholm, parmi d’autres personnages récurrents des autres titres de l’auteur. Un flic pas franchement sympathique car bourrés de préjugés : misogyne, raciste, hostile aux jeunes, aux homosexuels et à tous ceux qui ne lui ressemblent pas. Un gros lourdingue comme on en connaît tous, qui a peur pour sa santé mais ne résiste pas à l’appel du gosier et du ventre. Un flic à l’opposé de ceux mis en scène par les romanciers nordiques, presque touchant, paradoxalement, car à côté de tout et, finalement, plus perspicace qu’il ne le semble de prime abord. Le parfait antihéros en quelque sorte – autrement dit, et comme il se voit lui-même : « …Un homme suédois tout à fait normal dans la fleur de l’âge, enquêteur légendaire et incarnation des fantasmes de toute femme. » Ce volume débute par l’assassinat d’un comptable de soixante-huit ans passablement alcoolique. « Un meurtre de poivrot tout ce qu’il y a de plus banal, dit Bäckström en hochant lourdement la tête » et qui sera résolue en cinq minutes ou, au pire, en quarante-huit heures ? C’est ce que tout laisse d’abord à penser mais divers éléments vont, l’un après l’autre, totalement modifier cette hypothèse. Comme dans ses précédents romans, Persson use d’un procédé consistant à dévoiler ce que pensent ses personnages. Si pour certains, l’écart entre ce qui est dit et ce qui est pensé peut se révéler drôle, ce procédé finit par être lassant : les cogitations de Bäckström, notamment, ne sont pas toutes des plus fines. Mais on se dit que ce n’est pas si grave car G. W. Leif Persson sait donner de la profondeur à ses enquêtes et ses policiers nous semblent familiers. Celui qui terrasse le dragon n’est peut-être pas son chef-d’œuvre mais les amateurs de romans policiers nordiques ne sauraient le dédaigner.

 

* Leif G.W. Persson, Bäckström 2, Celui qui terrasse le dragon (Den som dödar draken, 2008), trad. Catherine Renaud, Rivages (Thriller), 2016

La Véritable histoire du nez de Pinocchio

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Dans La Véritable histoire du nez de Pinocchio de Leif GW Persson, nous retrouvons le commissaire Evert Bäckström, de la police de Solna. Rappelons que ce policier, dont d’autres volumes permettent de faire la connaissance (Linda, Celui qui terrasse le dragon), n’est pas a priori le plus sympathique des hommes. Raciste, sexiste, homophobe, ce « petit gros » à la « tête ronde » complique le travail de ses collègues plus qu’il ne leur vient en aide, bien qu’il se sente indispensable, lui le « super-policier ». Ce lundi est pour lui le plus beau des jours car il apprend l’assassinat d’un avocat dont les clients, pour beaucoup, appartenaient à la délinquance immigrée, avocat contre lequel il avait lui-même dû batailler. L’enquête avance, notamment grâce à un chauffeur de taxi qui a vu celui qui semble être le tueur et son acolyte. Mais les démarches de Bäckström pour grappiller de l’argent illégalement chaque fois qu’il en a l’occasion ralentissent les efforts de ses collègues. « Cet homme n’a aucune idée de la limite. Je me rappelle encore quand il a essayé de pousser cette soi-disant piste sexuelle dans l’enquête sur le meurtre de Palme. Que Palme aurait été membre d’une secte secrète d’obsédés sexuels qui auraient fini par se dénoncer les uns les autres, et que c’est pour ça qu’il s’était fait tirer dessus. C’est la fois où Bäckström a fini à l’asile. Malheureusement, ils ont laissé sortir ce bâtard », explique ainsi l’un de ces collègues. La Véritable histoire du nez de Pinocchio est un roman qui se laisse lire. Leif GW Persson excelle à entraîner le lecteur dans les arcanes de la police suédoise, rarement présentée sous son meilleur jour, sous sa plume. Comment faire autrement avec un Evert Bäckström (Evert comme... Evert Taube, Bäckström comme... le commissaire Martin Beck, ou plutôt l’anti-Martin Beck, le héros du Roman d’un crime de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, auteurs dont Leif GW Persson se revendique ouvertement) comme personnage principal ? Les digressions sont nombreuses et la piste criminelle menant au roi et à son entourage immédiat est tirée par les cheveux. Certes, il s’agit d’une fausse piste, à l’initiative de Bäckström... Mais peut-être Leif GW Persson aurait-il dû être moins volubile, car l’histoire en elle-même n’est pas très intéressante. La tentation de décrocher des six cent cinquante pages de ce volume, pas le meilleur de la série, affleure parfois.

 

* Leif GW Persson, La Véritable histoire du nez de Pinocchio (Den sanna historien om Pinocchios näsa, 2013), trad. Catherine Renaud, Rivages, 2017

L’Enquêteur agonisant

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De son propre aveu, Lars Martin Johansson, le héros récurrent de Leif GW Persson, possède trois principes en matière d’enquêtes policières : « Faire avec ce qu’on a, ne pas compliquer inutilement l’affaire et détester les coïncidences ». Mais le retraité est ici mal en point, car le voici victime d’un infarctus alors qu’il s’apprêtait une fois de plus à avaler « une zigeuner avec de la choucroute et de la moutarde française. Et puis une boisson fraîche avec ça. Une bouteille d’eau gazeuse. » L’ancien chef de la Direction nationale de la police judiciaire se retrouve en moins de deux à l’hôpital Karolinska. Où sa doctoresse lui rappelle une sordide affaire survenue vingt-cinq ans plus tôt et aujourd’hui frappée de prescription : l’enlèvement, le viol et le meurtre d’une fillette de neuf ans dans un quartier chic. Comme il s’ennuie dans son lit, il lui demande de lui fournir les informations qu’elle possède. S’entourant de Bo Jarnebring, l’un de ses collègues en retraite et par ailleurs son meilleur ami, et d’un jeune homme d’origine russe protégé de son frère, il reprend l’enquête à zéro. Laquelle avait été dirigée par Evert Bäckström, « gros lard » et flic odieux que Leif GW Persson a déjà mis en scène dans plusieurs volumes. Comme le remarquera en toute modestie Lars Martin Johansson, « connu parmi ses collègues comme ‘l’homme qui voyait derrière les coins’ et considéré par la plupart comme un dictionnaire ambulant de l’histoire du crime violent », si l’enquête lui avait été confiée à l’époque, elle aurait été résolue en moins de deux. Il lui faut peu de temps en effet, grâce à une bonne dose de compétences et une autre d’intuition, pour déterminer l’identité de l’assassin. Mais que faire de lui, maintenant que celui-ci ne risque plus les foudres de la justice ? « L’éliminer, faire le ménage et tourner la page aurait été plus simple, bien sûr. Johansson avait toutes les ressources nécessaires et, à ce qu’il semblait, les bonnes volontés ne manquaient pas. Cela dit (…), cette solution était inadmissible, impensable, impossible. Dans le monde selon Johansson, aucun but qui justifiât ce genre de moyen. » En dépit de son honnêteté professionnelle et humaine, ce policier amateur de chasse à l’écureuil et à l’élan, peut laisser dubitatif. Mais Leif GW Persson livre ici incontestablement un roman bien construit et très prenant, dont le lecteur ne peut que regretter la fin.

* Leif GW Persson, L’Enquêteur agonisant (Den döende detektiven, 2010), trad. du suédois Esther Sermage, Rivages (Noir), 2023

Délits mineurs

Delits mineurs

Un soir, quelque part dans la banlieue de Stockholm, Billy, un jeune garçon d’origine immigrée de quatorze ans, tombe sous les balles. Dogge, son ami du même âge qui vit dans un milieu aisé, prévient les secours avant de rentrer se réfugier chez lui. Est-il le meurtrier ? Pour avoir vécu lui-même dans ce quartier, Farid Ayad, policier qui « travaille dans la prévention de la délinquance », connaît tous ces petits malfrats, ces gosses qui ne trouvent pas leur voie et pensent pouvoir gagner beaucoup d’argent dans les trafics divers. Mehdi, un véritable malfrat, lui, serait responsable de l’exécution. L’enquête montre que Billy n’était pas ce gamin si « irrésistible » qu’il pouvait le sembler, que bien des mauvais coups, à l’école ou dans les environs, lui étaient imputables. Mais les adultes ne le soupçonnent pas : « il suffisait à Billy de sourire ». Car « les adultes laissaient Billy faire ce qu’il voulait ; ils ne posaient pas de questions dont ils n’auraient pas aimé les réponses. » Il gravit les échelons, jusqu’à, selon ses proches, faire marche arrière. Serait-ce pourquoi il a été tué ? Délits mineurs est un turn-over, les événements s’imbriquent, fiction et réalité rivalisent d’horreur. Plus d’un mort par semaine, ces dernières années, en Suède, à cause des guerres de gangs – avec des victimes parmi des gens qui n’y sont pour rien, comme à Marseille. « Les fusillades s’enchaînent, et personne n’est puni. » Et ceux qui refusent de se laisser faire sont mis au banc des coupables. Une violence qui ne s’était jamais vue dans ce pays jusque-là si tranquille inquiète la population et explique notamment l’arrivée de l’extrême droite au gouvernement. Malin Persson Giolito (née en 1969 à Stockholm et fille de l’écrivain Leif G. W. Persson) retrace dans les détails le parcours de deux jeunes séduits par l’entrée dans la délinquance et ses perspectives d’enrichissement rapide. « Billy aurait sans doute pu être le meilleur de toute son école si seulement il avait réussi à se concentrer. Dogge n’était le meilleur en rien, malgré tous ses efforts. (…) Mais, de toute façon, il n’avait pas besoin d’éducation. Il ne deviendrait pas plombier, tout ça n’était qu’une blague. Il allait tout défoncer. » Les deux adolescents se rêvent dans l’orbe de Mehdi, lequel n’est qu’un « petit poisson dans une mare de merde », comme en convient Billy, et « va finir par se faire bouffer, il le sait ». Délits mineurs montre bien les arcanes entre l’action de la police et celle de la justice, dont profitent les délinquants de petite envergure qui pourrissent la vie de quartiers entiers. « Jusqu’où doit-on aller pour la justice. La vraie justice. » Difficile de les arrêter, de les mettre hors d’état de nuire – et même une fois condamnés, ils peuvent continuer à sévir. Un roman à l’intrigue simple et néanmoins très efficace, avec de nombreuses questions sous-jacentes.

* Malin Persson Giolito, Délits mineurs (I dina händer, 2022), trad. du suédois Laurence Mennerich, Les Presses de la Cité (Sang d’encre), 2023

Rien de plus grand

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« ...Je ne suis pas une star du rock. (…) Quand les journaux impriment ma photo en une comme un appât, ça sent la mort et ça ne sert qu’à exciter davantage les hyènes », observe Maja/Maria Norberg à l’ouverture de son procès, lorsque avocats, parties civiles et témoins prennent place dans l’enceinte du tribunal. Maja, dix-huit ans, est accusée d’avoir abattu froidement au fusil cinq personnes dans la salle de classe d’un lycée, à Djursholm, dont Sebastian, son petit ami et fils de l’une des plus grosses fortunes de Suède. Durant son procès, elle se remémore sa vie. Malin Persson Giolito (née en 1969 et avocate qui a exercé à Bruxelles, fille de l’ex-policier devenu écrivain G. W. Leif Persson) livre là un roman de procédure plus qu’un roman policier, avec des descriptions de personnages qui abondent de détails « plus vrais que vrais ». En dépit de la gravité du sujet, l’humour n’est jamais absent : « Amanda n’était pas une menteuse, du moins pas seulement ». Donnant à voir le parcours de Maja, Malin Persson Giolito entraîne le lecteur dans le sillage d’une jeunesse huppée, prête à s’entre-dévorer pour dépasser la réussite des parents. Arrêtée sur les lieux du carnage, Maja « réfute » les charges qui pèsent contre elle, plaide son avocat, une pointure du barreau, elle doit être acquittée. En revanche, tout accuse Sebastian, personnage peu sympathique imbu de tous les préjugés de son milieu : « Mis à son part son appartenance à la plus grosse fortune de Suède, tout y est : un garçon blanc avec des problèmes psychiques, les drogues, les difficultés à l’école, les parents séparés et l’habitude des armes. » Sebastian, qui était humilié par son père, le richissime Claes Fagerman, véritable coupable selon Maja, et qui rêvait de se venger. Incarcérée, Maja risque des années de réclusion. « Vous voulez que quelque chose ne tourne pas rond chez moi. Afin d’être sûrs de n’avoir rien en commun avec moi. Vous n’avez pas mes pensées, vous ne feriez jamais ce que j’ai fait, vous ne diriez jamais ce que j’ai dit. » Rien de plus grand est un gros roman, qui se lit presque d’une traite. Si le lecteur plonge dans l’univers de la jeune femme et de ses camarades de lycée, s’il la suit lors de ses escapades de luxe, de très grand luxe avec Sebastian, il ressentira un trouble devant l’inaction de Maja. Pourquoi n’a-t-elle jamais protesté et ne s’est-elle pas séparée de Sebastian ? Sur qui a-t-elle tiré ? Sur Sebastian ? Sur Amanda ? Comprendre, serait-ce excuser ? Au terme de notre lecture (et comme avec L’Enfant qui ne souriait pas, premier roman de l’auteure traduit en français, en 2013), nous avons du mal à voir où Malin Persson Giolito veut emmener le lecteur (une critique de ces ultra-parasites que sont les ultra-riches ?). Quoi qu’il en soit, retenons que mieux vaut ne pas lésiner sur les tarifs de son avocat quand on considère que la liberté est un bien précieux...

 

* Malin Persson Giolito, Rien de plus grand (Störst av allt, 2016), trad. Laurence Mennerich, Presses de la Cité, 2018