Arts

Anna-Eva Bergman, voyage vers l’intérieur

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À l’occasion de l’exposition qui se tient au Musée d’art moderne de Paris du 31 mars au 16 juillet 2023 (la deuxième d’ampleur en France relative à cette artiste, après celle de 1977-1978), la revue Beaux Arts consacre un numéro à Anna-Eva Bergman (née en 1909 à Stockholm, elle prendra la nationalité norvégienne après le divorce de ses parents ; elle est décédée en France, à Grasse, en 1987) – qui ne fut pas seulement la compagne du peintre Hans Hartung. Comme rappelé dans le magazine Beaux Arts, ses dessins et ses peintures, relevant souvent de l’art de la caricature, peuvent être mis en parallèle avec le travail d’un George Grosz ou d’un Otto Dix. Mais, mélomane et cinéphile avertie, Anna-Eva Bergman possède son style propre, inséparable d’une certaine luminosité nordique – « c’est du Finnmark et de la Norvège du nord que je rêve » – avec une grande admiration pour Edvard Munch et les peintres abstraits. Sur un autre plan, comment ne pas apprécier « Nationalsocialistik fremtig », « Barnefabrikasjon » et « Den fredselskende familie », dessins reproduits page 19 ? Datés de 1933 pour le premier et de 1944 pour les deux autres, ils expriment le rejet de l’artiste du nazisme, régime politique homicide qui restreignait toute création en dehors de consignes idéologiques strictes. L’exposition présente au Musée d’art moderne restitue l’ensemble de son œuvre. Ainsi que le souligne Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, « son rapport sacré à l’art, en lien constant avec sa fascination pour les forces naturelles, telluriques et cosmiques, était jugé avec beaucoup de mépris il y a encore quelques années. Les générations et les préoccupations évoluent, et Bergman rencontre aujourd’hui un nouveau public prêt à la regarder. » Sa perception de la nature, notamment celle du Finnmark, son art attaché à un tout, l’univers, font que ses toiles semblent s’extraire de la temporalité. Cette exposition est un juste et bel hommage.

* X, Anna-Eva Bergman, voyage vers l’intérieur, Beaux Arts & Cie, 2023

Musique romantique suédoise

Consacrée en grande partie au domaine musical nordique, la bibliographie de Jean-Luc Caron est des plus séduisantes ; elle comporte des travaux sur Jean Sibelius, Nils Gade, Carl Nielsen, Edvard Grieg. Il nous propose aujourd’hui un riche « abrégé historique, biographique et esthétique » de la Musique romantique suédoise. Retraçant l’histoire artistique en Suède au fil des âges, de l’époque viking à aujourd’hui, Jean-Luc Caron constate que, si « fort peu de compositeurs ont acquis une réputation universelle », cela « n’empêche en rien l’existence de réalisations de la plus haute qualité ». Que l’on en juge, en effet, par ces quelques noms : Wilhelm Peterson-Berger (1867-1942), Wilhelm Stenhammar (1871-1927), Hugo Alfvén (1872-1960), Oskar Lindberg (1887-1955), Dag Wirén (1905-1986), etc. Apparu dans la première décennie du XIXe siècle, le « premier national romantisme suédois » s’est poursuivi par un « deuxième national romantisme » qui a beaucoup puisé dans le folklore, puis par un « troisième volet ». Une musique qui s’est grandement inspirée de celle qui existait à son époque, pour (comme dans d’autres domaines artistiques nordiques, pensons évidemment à la peinture et à la littérature) trouver sa voie propre. « Les riches heures de l’histoire nordique entretiennent le souvenir de périodes glorieuses ou dramatiques exacerbées et purifiées par les légendes qui les accompagnent. » La musique romantique suédoise demeure séduisante. Ce livre érudit mais jamais pompeux fournit des pistes d’écoute – les œuvres de la plupart des compositeurs recensés par Jean-Luc Caron sont disponibles aujourd’hui en CD ou par Internet. À découvrir, à redécouvrir.

 

* Jean-Luc Caron, Musique romantique suédoise, L’Harmattan (Univers musical), 2019

Jean Börlin, Le Dandy dansant

C’est la vie de son grand-oncle, Jean Börlin (1893-1930, né à Härnösand et enterré au Père-Lachaise), créateur des Ballets suédois, que Anne Edelstam présente dans cet ouvrage (qui aurait mérité une sérieuse relecture : que de coquilles ou de phrases bancales, même en quatrième de couverture !), Le dandy dansant. Issu d’un milieu aisé et cultivé mais contraint, lorsque ses parents se séparent, de vivre chez un oncle et une tante, Jean Börlin croisera au cours de sa brève carrière des artistes qui l’influenceront – et qu’il influencera. D’abord Michel Fokine, à la tête des Ballets russes, dont il sera l’élève avant d’être le concurrent ; puis le peintre suédois Nils Dardel, pour ses décors ; ensuite Fernand Léger, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, etc. Sans omettre son mentor, mécène et amant, Rolf de Maré. Déplorant l’académisme de l’opéra de Stockholm, Jean Börlin met en scène les « Ballets suédois », de 1920 à 1925, et conquiert un public fortuné français et bientôt international, bien que le succès soit inégal d’un pays à un autre. Anne Edelstam retrace ce parcours sous forme d’un roman : beaucoup de beau monde ici convié, dont les soucis d’argent aussi relatifs que récurrents (Jean Börlin ou Marie Laurencin) contrastent avec les difficultés économiques et sociales de ces « années folles ». À lire avec, par exemple et en même temps, un œil sur le beau livre de Bengt Häger, Les Ballets suédois (1989, pour sa traduction française) à la riche iconographie. et une mélodie du compositeur suédois Hugo Alfvén ou des français Maurice Ravel ou Erik Satie dans les oreilles.

 

* Anne Edelstam, Jean Börlin, le Dandy dansant, Michel de Maule, 2020

 

JH Engström

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Né le 4 septembre 1969 à Karlstad, le photographe suédois Jan Henrik Engström, dit JH Engström, est aujourd’hui reconnu pour son œuvre variée – visages, corps, paysages essentiellement... Depuis son premier livre, en 1997, intitulé Shelter, celle-ci s’est enrichie et, dans le domaine de la photographie contemporaine, constitue l’une des œuvres les plus séduisantes. À découvrir ses clichés les uns après les autres, dans l’ordre choisi pour ce volume de la collection « Photo poche » des éditions Actes sud, on peut d’abord émettre des doutes. Avant de comprendre que ce que cherche l’artiste est de restituer une sensibilité. Ses personnages semblent « hors-cadre », et ils le sont souvent, en effet. Les polaroïds renvoient toute l’incertitude d’un individu face, non pas seulement au viseur du photographe, mais au monde qui est celui qui apparaît derrière lui. Les photos floues ne sont que le reflet de notre propre regard, qui souvent n’a pas le temps d’accorder le souffle d’une pose à ce qu’il perçoit. Le regard de JH Engström est sans apprêt, à l’instar des deux grands photographes auxquels il est aujourd’hui associé, Anders Petersen et Christer Strömholm. « Des centaines de portraits d’hommes et de personnes transgenres (…) côtoient des dizaines d’autoportraits (…) au milieu de photographies monumentales de moraines du Värmland (…), la région natale de l’artiste. On y retrouve là une nouvelle question qui traverse toute l’œuvre de JH Engström : la relation entre la nature et la civilisation », écrit le galeriste Jean-Kenta Gauthier. Une œuvre profondément humaine se dégage de ce livre, à découvrir.

* JH Engström, introduction Urs Stahel, biographie Jean-Kenta Gauthier, Actes sud (Photo poche), 2021

 

Becoming

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Tarik Kiswanson (né en 1986 à Halmstad ; al-Kiswani comme nom d’origine... !) est un artiste plasticien dont les parents, Palestiniens, se sont réfugiés en Suède dans les années 1980. Il vit aujourd’hui à Paris et se considère comme à la croisée de plusieurs cultures. À Stockholm, une nouvelle exposition rétrospective lui a été consacrée d’avril à juin 2023 au Bonniers Konsthal. Grâce à diverses techniques comme la sculpture, la vidéo, l’écriture ou des performances, il restitue sa perception du corps en tant que matière et suscite le questionnement du spectateur. Imprimées sur papier calque, ce qui leur donne une grande profondeur, les photographies retenues dans cet ouvrage, Becoming, présentent des personnages, des membres de sa famille peut-on penser, et des lieux d’exposition avec ses œuvres, souvent des « cocons ». Quelquefois déroutantes, jouant sur le lien entre le passé et le présent, elles sont accompagnées de poèmes en anglais, de sa plume : « I find myself moving again, bing profoundly moved by the fact that everything is out of control. I can feel the trembling. I can feel the instability. I shiver. » Un ouvrage à la présentation très soignée et en même temps accessible, pour présenter les « visions of silence » de l’artiste, en regard de l’exposition dans la capitale suédoise.

* Tarik Kiswanson, Becoming (en anglais), Dilecta, 2023

La Suède sauvage

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La revue Beaux Arts a sorti un numéro consacré à l’exposition des œuvres du peintre suédois animalier Bruno Liljefors (1860-1939), La Suède sauvage, au Petit-Palais (du 1er octobre 2024 au 16 février 2025). Signalons également le superbe catalogue d’exposition des éditions Paris Musées, sous ce titre éponyme et sous la direction de Sandra Buratti-Hasan et Carl-Johan Olsson. L’exposition est de toute beauté et les reproduction réunies ici rendent bien la splendeur des toiles, quels que soient leurs formats et leurs sujets. Arpenteur infatigable de la nature boréale, passant au cours de sa carrière du naturalisme au national-romantisme, Bruno Liljefors a su retranscrire l’émoi des animaux qui habitent dans ces contrées. Il les saisit sur le vif, le regard brillant, souvent en plein mouvement. Il excelle également à représenter la flore, cf. par exemple cette toile qui ouvre l’ouvrage, Intérieur de forêt (Skogsinteriör, vers 1890). « À l’heure où les populations d’oiseaux décroissent rapidement et où l’ensemble de la biodiversité est menacée, j’espère que la contemplation des toile de Bruno Liljefors amènera les visiteurs à porter un regard toujours plus émerveillé et protecteur sur le monde animal », écrit la mairesse de Paris Anne Hidalgo dans sa préface. Une petite dizaine d’articles nous restituent le peintre et son œuvre à son époque et aujourd’hui. Notons « L’œil sauvage de Bruno Liljefors » et « L’influence du japonisme » de Carl-Johan Olsson, « L’homme qui changeait de (le) paysage » de Fredrik Sjoberg, « Au bord de la vaste mer, Bruno Liljefors dans l’archipel » de Martin Olin, « La plus grande œuvre de Bruno Liljefors » de Staffan Hansing, etc., tous articles remarquables d’érudition et nous conviant à découvrir une œuvre jusqu’alors demeurée inaperçue ici. En l’abordant « dans de nouvelles perspectives, en s’inspirant à la fois de l’art contemporain et de la théorie de l’évolution », Bruno Liljefors a « radicalement renouvelé la peinture animalière », écrit encore Carl-Johan Olsson. Ce catalogue consolera qui ne pourrait pas visiter l’expo.

* Bruno Liljefors, La Suède sauvage, Paris Musées, 2024

La Suède sauvage

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Pour accompagner l’exposition des œuvres du peintre suédois animalier Bruno Liljefors (1860-1939) au Petit-Palais (du 1er octobre 2024 au 16 février 2025), feuilletons ce numéro de la revue Beau Arts, Bruno Liljefors, La Suède sauvage. « Bruno Liljefors parachève notre cycle dédié au trio ‘ABC’ – acronyme créé avec les initiales des prénoms de chaque artiste – qu’il forme avec Carl Larsson et Anders Zorn, auxquels nous avions consacré des monographies, respectivement en 2014 et 2017 », explique Sandra Buratti-Hasan, commissaire de l’exposition. Bien moins connu en France que Larsson et Zorn, Liljefors peint dans un registre qui lui est propre, connaissant la nature suédoise pour l’arpenter des journées durant comme chasseur, mais aussi comme amoureux de la faune et de la flore, et comme disciple de Darwin. En Suède, sa reconnaissance est grande. Des timbres poste ont même repris ses œuvres. « ...Il a appris à ses compatriotes à considérer la nature de leur pays avec des yeux nouveaux », a écrit l’écrivain suédois et historien de l’art Georg Nordensvan. En France, on se souvient de son passage à la colonie d’artistes nordiques de Grez-sur-Loing. L’exposition donne à voir l’ensemble de sa carrière. À ne pas rater.

* Bruno Liljefors, La Suède sauvage, Beaux arts, 2024

Un Nuage devant les yeux

Belgo-Suédois né en 1969 à Caen, Piet Lincken écrit de la poésie en français. Il nous fait voyager ici avec Arthur Rimbaud dans les régions septentrionales de l’Europe que le poète aurait brièvement traversées en 1877. « ...Je me suis rendu dans des lieux qui, pour moi, sont rimbaldiens quant à leur puissance d’évocation poétique (…) comme la forêt jutlandaise de Rold Skov, comme le petit village d’Ammarnäs (comté de Västerbotten, Suède), comme en Norvège le long du lac Strandavatnet, ou bien encore sur les plages ventées du fjord de Rinkøbing, au Danemark ». Et Piet Lincken d’effectuer des « rapprochements » entre Rimbaud et des « auteurs scandinaves » comme la poétesse Edith Södergran, August Strindberg ou Arthur Lundkvist... Et Piet Lincken de lancer ses propres mots dans une nature boréale toujours à découvrir, ponctués par ceux de Rimbaud. « Et je cours. Torse nu, je cours comme une bête. » Un chant à deux voies, ce petit livre, Un Nuage devant les yeux, ou peut-être un dialogue. Un beau dialogue.

 

* Piet Lincken, Un Nuage devant les yeux (Rimbaud en Scandinavie), Éditions du Cygne, 2020

L’Oiseau en moi vole où il veut

L oiseau en moi vole ou il veut

« Quand je serai grande, je serai peintre. Comme Michel-Ange. Mais je ne le dis pas trop fort. Artiste n’est pas un vrai métier. On ne le devient pas. Encore moins quand on est une fille. » Ainsi pense la future artiste peintre, sculpteure et artiste textile Berta Hansson (1910-1994), mise en scène par Sara Lundberg (née en 1971) dans ce magnifique volume, L’Oiseau en moi vole où il veut. Née à Hammerdal, dans le Jämtland, Berta Hansson est la fille d’un couple d’agriculteurs ; les femmes ont beau avoir le droit de vote en Suède depuis 1919, leur place, selon son père, demeure au service du chef de famille. Elle aimerait dessiner, elle aimerait peindre, elle aimerait fabriquer des objets avec l’argile qu’elle trouve près de la maison, d’autres objets que ceux qu’elle offre à sa mère – qui mourra bientôt de « phtisie », autrement dit de tuberculose. Des adultes, enseignants et médecins, la félicitent et lui conseillent de choisir une carrière artistique. Dans sa postface, Alexandra Sundqvist, journaliste et écrivaine, rappelle le parcours hors-norme de cette femme, parmi les « artistes majeurs en Suède », que les histoires de l’art ont tendance à oublier – parce que femme et issue d’un milieu populaire ? (Aucune mention dans les divers beaux livres consacrés à la peinture moderne de Suède et des Pays nordiques...) « Berta Hansson ne s’est jamais vraiment intégrée dans son village natal de Hammerdal. Elle accomplit certes ses petits travaux quotidiens (surveiller les vaches dans les prés, ramasser au bord des chemins des morceaux de ferraille qui seront ensuite revendus pour quelques sous), mais elle sent qu’il existe quelque part une autre vie qui lui conviendrait mieux. » Pour subsister, Berta Hansson est d’abord institutrice à Fredrika, en Laponie. Jusqu’à rencontrer l’écrivaine Elsa Björkman-Goldschmidt (1888-1982), venue dans le village pour échanger avec des élèves. Celle-ci l’encourage à peindre et à exposer à Stockholm. Mais Berta Hansson se soucie plus de la santé de son père et revient près de lui, que de son propre succès. Réalisées au pastel, les illustrations de Sara Lundberg rendent un bel hommage à cette artiste, dont le thème de l’oiseau (qui « vole où il veut ») est une récurrence de l’œuvre. Les bouleaux recouverts de neige bleue transportent le lecteur dans cette Suède encore profondément rurale, en pleine mutation. L’Oiseau en moi vole où il veut est un très, très beau livre, sur une artiste que peu de musées exposent (le National museet et le Moderna museet, à Stockholm). Une œuvre à découvrir et à redécouvrir, composée pour l’essentiel de scènes de la vie quotidienne : enfants en train de jouer, vaches, prairies de pissenlits, femmes en plein travail, etc. Sans oublier des « compositions cubistes » et des gens et paysages d’Afrique – Berta Hansson a vécu en Afrique du Sud au début des années 1950 et le régime d’apartheid alors en place l’a révoltée ; elle n’aura cesse de le combattre.

* Sara Lundberg, L’Oiseau en moi vole où il veut (Fågeln i mig flyger vart den vill, 2017), trad. Jean-Baptiste Coursaud, postface Alexandra Sundqvist, La Partie, 2022

 

Anders Petersen

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Les éditions Actes sud rééditent dans leur collection « Photo poche » les photographies du Suédois Anders Petersen (né en 1944 à Solna) publiées initialement en France chez ce même éditeur en 2004. Sa vision de ses contemporains permet de reconnaître immédiatement ses clichés. Ceux qui l’intéressent le plus sont les prostituées, les sous-prolétaires, les internés psychiatriques, les détenus, les mis-à-l’écart et autres marginaux de toutes sortes composant cette faune qui vit quelquefois plus la nuit que le jour. Sa série autour du Café Lehmitz (un bar de Hambourg), en 1978, lui avait apporté la célébrité. Depuis, sans doute cet élève de Christer Strömholm (1918-2002, autre grand photographe suédois) est-il le photographe suédois les plus célèbre, régulièrement exposé dans les grandes capitales et récompensé notamment à Arles, lors des Rencontres internationales de la photographie. À l’exception de ce petit volume au prix abordable comptant nombre de clichés pris en Suède (à Stockholm : Gröna Lund, Djurgården, Vasagatan, et ailleurs dans le pays), en Allemagne ou en Italie, dans une sorte de rétrospective, on ne trouve guère en France ses photographies que dispersées dans des ouvrages collectifs ou de coûteux catalogues d’exposition. Idéal pour une première approche. « Il ne sera ni peintre ni journaliste, il sera photographe. Mais il accepte, aujourd’hui, de considérer qu’il est un photographe à la fois peintre et journaliste. Parce qu’il se confronte au réel et l’expérimente pour mettre en forme les émotions qu’il lui procure », écrit justement le critique d’art, journaliste et photographe lui-même Christian Caujolle dans sa préface. Quelques-unes de ses photos sont de véritables chefs-d’œuvre, comme ce « Lenny » à Hambourg en 1967, ou cette femme à Londres en 2011 et, d’une façon générale la plupart de ses portraits. Avec son regard que l’on pourrait qualifier de « prolétarien », même s’il n’aborde pas tant le monde du travail que ses bifurcations (les piétinements de ceux qui en sont exclus, en quelque sorte), Anders Petersen est plus proche d’un Robert Doisneau ou d’un Willy Ronis, que de ses collègues d’aujourd’hui qui n’ont de cesse de sublimer la nature sans vie de l’objet ou la perspective vue comme un spectacle figé. Il est à ce titre un artiste profondément humain.

* Anders Petersen, Anders Petersen (introduction Christian Caujolle), Actes sud (Photo poche), 2024

Abba, l’histoire cachée derrière chaque chanson

Un beau livre de plus sur le célèbre groupe suédois, que celui-ci, Abba, l’histoire cachée derrière chaque chanson ? Signé Robert Scott, riche d’une iconographie abondante, il relate la petite histoire des chansons du groupe composé de Benny Andersson, Björ Ulvaeus, Agnetha Fältskog et Anni-Frid Lyngstad. Depuis sa victoire au concours Eurovision de 1974 avec « Waterloo », Abba est devenu l’un des plus gros vendeurs de disques au monde (400 000 millions à ce jour). « En célébrant les chansons d’Abba, c’est à la musique pop que l’on rend hommage », affirme l’auteur dans sa préface, insistant sur le succès rencontré à l’échelle mondiale par Abba et jamais démenti depuis. De l’album Ring ring (1973) à The Visitors (1981), la carrière des quatre artistes est ici reconstituée et chaque chanson mise en exergue. Pour ravir les fans.

 

* Robert Scott, Abba, l’histoire cachée derrière chaque chanson (2019), trad. de l’ang. Élisabeth Luc, L’Imprévu, 2020

Écrits sur l’art

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On rapprocherait assez facilement le Suédois August Strindberg du Français Octave Mirbeau. Contemporains, Strindberg (1849-1912) et Mirbeau (1848-1917) ont en commun d’être dramaturges et romanciers de talent, de cultiver semblables inimitiés (la bienséance de leur époque, d’une façon générale), ce qui les porte vers le socialisme et plus encore l’anarchie, et d’avoir tous deux beaucoup réfléchi aux diverses déclinaison de l’art, de la peinture au théâtre, de la littérature aux procédés précurseurs comme la photographie ou le cinéma. On rappellera que les écrits critiques de Mirbeau sont nombreux, comme ceux de Strindberg, dont les éditions Macula nous proposent aujourd’hui un recueil d’articles, Écrits sur l’art. Les points de vue gagneraient à être comparés de manière systématique. Relevons également que Strindberg jouit aujourd’hui d’une stature internationale, ce qui n’est pas le cas de Mirbeau – si méconnu dans son pays. Mais oublions Mirbeau et contentons-nous ici de relever la grande richesse de points de vue développés par Strindberg dans les vingt-six textes retenus dans cet ouvrage. Que ce soit sur Gauguin, sur Munch, sur telle ou telle exposition, ou encore sur l’art d’une manière générale, August Strindberg assène des avis qui expriment une profonde compréhension du sujet. Il ne passe pas à côté, jamais. Il ressent. Car tel est Strindberg, homme de cœur avant d’être cérébral. Ses avis sont partiaux et largement contestables mais ils sont aussi toujours pertinents et, pour cela, ne sauraient être mésestimés. Très bonne idée que de les avoir ainsi rassemblés.

 

* August Strindberg, Écrits sur l’art (trad. Elena Balzamo ; préface Jean Louis Schefer), Macula, 2017

De la mer au cosmos

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Signé August Strindberg, De la mer au cosmos, peintures et photographies résulte d’une exposition qui s’est tenue au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne en 2016. Strindberg, on le sait, s’est exercé à la peinture, certes sporadiquement, mais tout au long de sa vie. Et, à certaines périodes, à la photographie. Publié sous la direction de Camille Lévêque-Claudet, ce fort volume (220 pages, grand format, très richement illustré) rassemble ces diverses œuvres, accompagnées d’un appareil critique de grande qualité. Citons juste quelques articles : « De l’Île des Bienheureux à l’Île des morts : un itinéraire strindbergien » (Elena Balzamo) ; « ‘Maintenant, je lance mes tableaux un à un, on va m’établir en peintre’ : Strindberg, peintre par hasard ? » (Camille Lévêque-Claudet) ; « La série photographique de Gersau » (Erik Höök) ; « Célestographies » (Douglas Feuk) ; « August Strindberg et les illustrateurs suédois de son temps » (Magdalena Gram) ; « August Strindberg peintre face à la critique » (Göran Söderström) ; etc. Ou encore « August Strindberg, une peinture à rebours de la civilisation » (Catherine Lepdor) : « Strindberg fait de la vie au sein de la nature le préalable indispensable au surgissement en soi-même de l’homme libre, un homme qui, après avoir parcouru à rebours une partie du chemin qui l’a conduit à l’aliénation, trouve la guérison en se débarrassant du vernis de la civilisation. » Artiste excellant dans plusieurs domaines, ce qui ne plaît pas aux esprits trop cartésiens, Strindberg ne fut jamais un médiocre. Traité de « peintre du dimanche » par certains, à une époque, la cote de ses toiles s’envole aujourd’hui. Ce livre présente des aspects parfois inattendus de l’œuvre du dramaturge et romancier. On entre ainsi, ici, de plain-pied dans l’imaginaire d’un Strindberg pas un instant en panne de curiosité intellectuelle, ni de talent. Magnifique.

 

* August Strindberg, De la mer au cosmos, peintures et photographies, Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne/Noir sur blanc, 2016

Every day

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Le photographe Lars Tunbjörk a mené, d’avril à juin 2012, une résidence d’auteur en France, dans la région de Beauvais. Le résultat ? Un livre aussi déroutant que séduisant, qu’ont publié les éditions Diaphane : visages, en gros plan, d’hommes et de femmes, salariés dans diverses entreprises du Beauvaisis, machines d’usines, bureaux, mobilier urbain, parkings, déchets, espaces dits verts, détails de rues… Ce que chacun voit, au quotidien, sans toujours prendre le temps de s’arrêter, de réfléchir. Pourquoi telle forme pour tel objet, ou pourquoi cette chose est-elle placée ici et non pas ailleurs ? Lars Tunbjörk, écrit dans sa préface Christian Caujolle, « nous entraîne (…) dans sa découverte du monde en jouant sur la contradiction profonde de la photographie : le réalisme d’une imagerie dépendant du réel préexistant qui se pare des atours de la preuve alors qu’elle n’est capable d’aucune vérité ». Originaire de Borås, Lars Tunbjörk est un photographe reconnu en Suède, qui a déjà signé plusieurs ouvrages. Sa vision de la société française, parcellaire, est, pour cette raison sans doute, éclairante. Au point, ajoutons, d’en être même parfois inquiétante.

* Lars Tunbjork, Every day, 2012éditions Diaphane

Un Suédois à Paris au XVIIIe siècle

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Les habitués du Centre culturel suédois, dans le quartier du Marais à Paris, connaissent le nom de Tessin puisque l’une des salles de l’Hôtel de Marle, où se trouve le Centre, est ainsi baptisée. Ambassadeur de Suède à Paris de 1739 à 1742, fréquentant nombre d’artistes, missionné par le roi Fredrik Ier pour défendre les intérêts de son pays, le comte Carl Gustaf Tessin (1695-1770) fit l’acquisition durant ces trois années d’un nombre impressionnant de tableaux, avec pour objectif de refléter les différents genres et écoles d’alors : Chardin, François Boucher, Rembrandt, etc., et également nombre de primitifs allemands, flamands et italiens et de dessins de maîtres. Il se sépare de sa collection à son retour en Suède, pour résorber ses dettes, ce qui eut pour effet positif d’éviter leur dispersion. Une grande partie de cette collection au caractère unique est aujourd’hui propriété du Nationalmuseum de Stockholm, coorganisateur, avec le musée du Louvre, de l’exposition (du 17 octobre 2016 au 16 janvier 2017, à Paris, au musée du Louvre), que l’amateur peut aussi contempler dans un beau livre. « Le XVIIIe siècle demeure par excellence celui des relations franco-suédoises. Les conséquences en sont encore sensibles aujourd’hui, en particulier dans les domaines de l’art et de la culture », rappelle à juste titre dans sa préface Berndt Arell, directeur du Nationalmuseum, tandis que Magnus Olausson trace, lui, la biographie de Carl Gustaf Tessin, issu d’une famille francophile : « homme politique et homme de cour, diplomate, haut fonctionnaire, artiste, écrivain, historien, collectionneur et philosophe, (un homme) capable de susciter à la fois admiration et rejet parmi ses contemporains. »

 

* Un Suédois à Paris au XVIIIe siècle/La Collection Tessin, Louvre éditions/Liénart, 2016

Pontus Hulten

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Les Cahiers du Musée national d’art moderne n°141 sont consacrés à Pontus Hulten (1924-2006) et s’ouvrent sur un long entretien à bâtons rompus du Suédois avec Serge Fauchereau (écrivain et historien de l’art et de la littérature). Effectuant de fréquents allers-retours entre Stockholm et Paris, premier directeur du Moderna Museet, Pontus Hulten navigue très jeune dans le monde de l’art contemporain. Il rencontre les plus grands peintres et plasticiens, avec lesquels il se lie souvent d’amitié : les Danois Richard Mortensen et Robert Jacobsen, les Français Marcel Duchamp, Jean Tinguely, André Breton, etc. Devenu historien de l’art (auteur d’une thèse sur Vermeer et Spinoza) et commissaire d’art contemporain, Pontus Hulten, qui se revendique anarchiste « tendance Kropotkine » (ou de « l’anarcho-libéralisme », selon Olle Granath), fut le premier directeur du Centre Georges-Pompidou de Paris, initiant aussitôt au lieu son approche pluridisciplinaire et son accessibilité au public. Signé Olle Granath, l’article suivant nous montre un « Pontus Hulten à Stockholm » toujours novateur dans sa pratique. D’autres articles nous donnent à voir un homme qui n’a cessé d’œuvrer, notamment par la notion de « musée vivant », à résorber la méfiance que l’art contemporain suscite chez beaucoup d’individus. Un ouvrage plutôt complet, qui trace le portrait d’un amateur d’art aux goûts très pertinents et à la démarche emplie de curiosité.

 

* Les Cahiers du Musée national d’art moderne n°141, « Pontus Hulten », Centre Beaubourg, 2017