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Åsa Grennvall
Les albums de l’auteure-illustratrice Åsa Grennvall déconcertent – et c’est un compliment. Qu’il s’agisse de 7e étage (trad. de l’anglais Chloé Marquaire, L’Agrume, 2013) ou de Album de famille (trad. Aude Pasquier, L’Agrume, 2014), on sort profondément ébranlé de ces lectures. Quand, par ailleurs, on découvre que le premier titre (coédité avec Amnesty International) est autobiographique… Deux ouvrages de bande dessinée qui relatent des bribes de vies tristement banales.
7e étage montre comment, réflexions sournoises et culpabilisatrices à son encontre s’enchaînant, une femme en vient à se laisser frapper par son compagnon. « C’était lui et moi contre le reste du monde. Le futur nous appartenait ! » Il lui faut un courage énorme pour rompre le cercle infernal (s’il me frappe c’est parce qu’il m’aime et parce que j’ai mal agi à son égard… !) et porter plainte. Les dessins en noir et blanc accentuent la dureté du propos.
Album de famille fait converser plusieurs individus, membres, au départ, d’une même famille ou aspirant à le devenir. Les sentiments sont exposés crûment, la hauteur d’âme n’est pas forcément au rendez-vous. Les scènes sont étrangement familières : sans doute, notamment, parce que Åsa Grennvall semble refuser tout artifice graphique. Sa palette en noir et blanc lui suffit pour exprimer les innombrables mesquineries de la vie familiale. On apprécie – pourtant… !
À la vie à la mort
Dessinateur de BD, animateur de radio et chanteur de rap, Simon Gärdenfors (né en 1978) s’adresse, dans cet album de bande dessinée de petit format, À la vie à la mort, à l’un de ses amis. Il vient de fêter ses dix-sept ans lorsqu’il apprend la mort de Karl à la suite d’une « forme de méningite infectieuse ». Karl et lui étaient très proches. La nouvelle est subite, il se sent anéanti. Les souvenirs reviennent, la dépression le guette. Graphiquement, À la vie à la mort se compose de vignettes successives, avec un dessin épuré, jusqu’à neuf par pages. Les couleurs jouent toutes avec le noir et le blanc. L’histoire en elle-même ne présente pas grand intérêt, du déjà lu et relu. « Je vois de plus en plus le côté comique de certaines... interactions humaines. Ça a l’air moisi dit comme ça mais c’est le truc le plus cool du monde. » L’amitié entre Karl et Sim est du même ordre que ces promesses qui unissent les adolescents, « à la vie, à la mort », « pour toujours et à jamais ». Une amitié profonde et futile, sans lendemain assuré. Perdre son pucelage au plus tôt est la seule vraie préoccupation du personnage principal. Nous sommes tous plus ou moins passés par là. C’est mignon. C’est un bel hommage à un ami disparu. C’est léger, très léger.
* Simon Gärdenfors, À la vie à la mort (2019), trad. Mathis Ferroussier, Revival, 2022
Un Rêve d’Europe
« En 2016, une odeur nauséabonde s’est répandue sur la Terre, comme après une remontée des eaux usées du destin. J’avais des sueurs froides à voir les partis fascistes se relever et remporter un à un les élections. Plus personne ne semblait croire aux idéaux européens de démocratie et de coopération... » Le narrateur (l’auteur lui-même) de cette bande dessinée signée Fabian Göranson, Un Rêve d’Europe, entreprend un beau jour, et puisque la vie au quotidien avec sa compagne laisse à désirer, un voyage au travers du continent européen. À la poursuite d’une chimère, peut-être, la construction de cette Europe unie et démocratique imaginée au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale. De Berlin à Paris, de Rome à Athènes, de Belgrade à Budapest, il retrouve des villes où il a vécu quelque temps et en découvre d’autres. Que de changements ! « Cette Europe dont je rêve n’existe plus. Elle a déjà fait sa métamorphose. Le monde ne court pas à sa perte, il s’y précipite. » Peu d’actions dans cet ouvrage, mais une déambulation intéressante de deux personnages, le narrateur et son ami Daniel, dans des cités toutes douloureusement marquées par l’histoire. Les idéaux de naguère n’ont pas été couronnés de succès, l’avenir semble compromis. Le populisme de droite s’apprête-t-il à ravager cet éternel champ de bataille ? Au lendemain des élections européennes qui ont vu une énième progression des partis d’extrême droite, la lecture du livre de Fabian Göranson ne peut qu’inciter à réfléchir et à poser enfin les bases d’une Europe démocratique, juste et libre – avant qu’il ne soit trop tard ! « Le ciel du futur est lourd de nuages menaçants. »
* Fabian Göranson, Un Rêve d’Europe, trad. Sophie Jouffreau, Rackham, 2019
Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire
Avec un scénario revu et signé Taillefer (Guillaume Levacher, dit Taillefer, né en 1979 en France) et des dessins de Grégoire Bonne (né en 1979), ce roman de Jonas Jonasson, Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, devenu un classique en Suède et ailleurs, est une adaptation sympathique. Bien sûr, l’intrigue est considérablement raccourcie, les extravagances perdent nombre de leurs explications alambiquées, mais une bd n’est pas un gros roman. « Un centenaire, un vendeur de hot-dogs, un petit délinquant et une femme », sans oublier un éléphant, voici les héros de cette histoire loufoque au cours de laquelle on croise aussi Franco, Mao, le président américain Truman, le frère d’Einstein et quelques autres personnages non moins excentriques. Rien n’est à prendre au sérieux – et, comme à Bali, tout est permis (dirait Allan Karlsson, personnage principal). Quelques détails un peu regrettables, histoire de chipoter : dans les cases de cette bande dessinée, les plaque d’immatriculation des véhicules circulant en Suède ne sont pas suédoises (trois lettres et trois chiffres, ou possibilité de personnaliser contre rémunération) ; la petite maison dans laquelle notre héros entend finir sa vie ressemble plus à un chalet des Alpes qu’à une stuga suédoise... Rien de grave. Le roman, le film, la bd... À quand la série télévisée ?
* Jonas Jonasson, Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, scénario Taillefer, dessins Grégoire Bonne, Philéas, 2024