O-P
L’Enfant au bout de la plage
Certes, Linda Olsson écrit en anglais, celui de Nouvelle-Zélande, exactement, mais son origine suédoise (elle est née à Stockholm en 1948) nous incite à la mentionner ici. Dans L’Enfant au bout de la plage, l’écrivaine nous conte l’histoire d’une femme d’une cinquantaine d’année, Marion/Marianne, et d’un garçon de six ans. « Pour la première fois de ma vie, j’avais commencé à me situer dans une sorte de contexte. ( …) Je me sentais saturée d’un inexplicable sentiment d’impatience », se dit Marion. Elle vit dans une maison isolée, au bord d’une plage de Nouvelle-Zélande et recueille cet enfant maltraité, Ika, avec l’aide d’un voisin dont la femme a été victime d’un accident de la route il y a longtemps. En parallèle, Marion se remémore son enfance, lorsqu’elle s’appelait Marianne et qu’elle souffrait, à Stockholm, de voir son beau-père maltraiter sa mère. Elle a alors commis un geste grave qui la poursuit encore. Lorsqu’elle arrive en Nouvelle-Zélande, une improbable rencontre, un amour fou et en impasse, change complètement le cours de sa vie. Venir en aide à Ika, serait-ce pour elle une sorte de rédemption ? L’Enfant au bout de la plage est un roman bien construit, bien écrit. Il se veut réaliste et pourtant, cette rencontre avec un homme inconnu qui se révélera être… (n’en disons pas plus !), sur une plage perdue du bout du monde, est bien peu crédible. Dommage car le reste du récit séduit plutôt.
* Linda Olsson, L’Enfant au bout de la plage (The kindness of your nature, 2011), trad. de l’anglais (Nouvelle-Zélande) Pierre Brévignon, L’Archipel, 2014
Traversée dans la région du cœur
Le narrateur de ce roman du Français Christophe Paviot (né en 1967), Traversée dans la région du cœur, est plutôt sympathique, avec ses goûts et ses dégoûts bien affirmés (que, pour la plupart, nous reprenons aisément à notre compte), mais il est aussi vite exaspérant, les yeux sans cesse larmoyants et des banalités ou des sophismes plein la bouche (« …Je n’ai aucune certitude d’être vivant dans une vingtaine d’années » ou diverses considérations sur les Vikings…). C’est dommage, car le lecteur prend d’abord plaisir à suivre le périple de ces trois personnages (outre ce narrateur, donc, sa compagne, Anna, et leur très jeune fille, Svéa) dans différentes régions de Suède. Deux voyages sont relatés en parallèles. Le premier, en 2013, lorsque les parents du narrateur font connaissance avec Kerstin. La mère d’Anna, Suédoise, vit dans la région d’Östersund avec un homme que l’on peut qualifier d’un peu brut de décoffrage. Et le second, l’année suivante, pour les obsèques de Kerstin. Le chagrin est là mais la vie, heureusement, n’entend pas lui laisser le champ libre. Svéa occupe sa place sans trop d’égards pour sa mormor disparue. « Kerstin recevra sa petite-fille chez elle en Suède, elle sera mise dans un avion, et sa grand-mère la rattrapera au vol. Elles prendront la voiture et iront faire des courses au supermarché, elles iront en forêt, marcher le long du lac, visiter le parc de Jamtli… » Les choses auraient pu se passer ainsi mais la mort de Kerstin ne le permettra pas. Le ton de Christophe Paviot est celui de la confidence, il nous montre la vie d’une famille, les enfants et les plus anciens, avec la Suède comme décor de choix. C’est un récit plus qu’un roman, avec, peut-être, une part d’autobiographie que le lecteur ignore. Un texte quelquefois pertinent, émouvant, mais d’autres fois trop plat (ah, toutes ces recommandations du père à sa fille, en conclusion ! fille que, par ailleurs, il imagine morte ou en situation glauque…), dont l’intérêt d’être publié ainsi nous échappe. « Je ne suis pas un héros, je ne suis pas un salaud, je suis juste au milieu », conclut le narrateur. Pourquoi pas, mais un personnage de livre ne saurait se contenter de ce compromis pour exister face au lecteur.
* Christophe Paviot, Traversée dans la région du cœur, Stock, 2017
Au premier chant du merle
Dire que nous avons ouvert Au premier chant du merle avec enthousiasme serait faux, tant nous craignions, pour quelles raisons ? d’entreprendre la lecture d’un roman sentimental et gentillet. Il n’en est rien, cependant, et Linda Olsson (née en 1948) réussit ici à charmer le lecteur avec intelligence. Trois personnages résident dans le même immeuble, à Stockholm, et vont apprendre à se connaître : un artiste dessinateur d’une trentaine d’années, un libraire de soixante-dix ans à la retraite et une femme de cinquante ans dont on ne sait rien, d’abord, avant de comprendre combien les livres ont été importants dans sa vie. Livres qui vont tisser des liens entre ces trois êtres solitaires. Bien sûr, on songe à La Bibliothèque des cœurs cabossés de la Suédoise Katarina Bival (Denoël, 2014), mais l’intrigue n’a rien à voir, sinon qu’il s’agit dans l’un et l’autre ouvrage de, disons, quelque chose comme la littérature au service de la solidarité ou de l’humanité. La littérature pour rapprocher les individus – ne serait-ce pas son rôle premier, au demeurant ? Sans personnages d’exception, sans crimes ni rebondissements mais avec, au contraire, quantité de silences savamment posés au fil du récit, Linda Olsson montre la vie d’individus comme vous et moi au travers de leurs petits gestes. Les livres sont là comme pour les souligner, pour en désigner la modestie et, néanmoins, l’ampleur.
* Linda Olsson, Au premier chant du merle (The Blackbird sings at dusk, 2014), trad. de l’ang. Claire Desserrey, L’Archipel, 2016
Astrid et Veronika
Astrid et Veronika : Deux femmes vivent l’une près de l’autre, chacune dans leur maison, à la campagne, dans le centre de la Suède. Elles s’évitent d’abord, s’ignorent, jusqu’à ce que l’une, peu importe laquelle, fasse le premier pas et qu’une complicité se noue. Elles se confient l’une à l’autre. Surnommée la « sorcière » par les habitants des alentours, Astrid est âgée, sa vie est derrière elle, estime-t-elle, regrettant de n’avoir « jamais quitté le village » où elle a vu le jour. « J’ignore quels monde cache les forêts et les montagnes. Comme j’ignore où court la rivière. » Veronika, elle, arrive de Nouvelle-Zélande et a le projet d’écrire un livre. Peut-être un roman d’amour, s’était-elle dit, mais elle n’en est plus si sûre. « Si je suis venue ici (…), c’est pour échapper à mes rêves », explique-t-elle à Astrid. Toutes deux, de se confier ce qu’elles n’ont jamais dit à personne. « …Elles s’installèrent confortablement sur le banc dans l’obscurité grandissante. Veronika leva les yeux vers le ciel et, à mesure que sa vue s’ajustait, regarda le vide d’un bleu-noir abyssal se remplir d’étoiles. »
* Linda Olsson, Astrid et Veronika (Let me sing you gentle song, 2005), trad. de l’anglais Mélanie Carpe, L’Archipel, 2012
Par-delà les glaces
En 1914, sur l’île de Hustrun, à l’extrémité de l’archipel de Stockholm, sept jeunes gens de retour d’un bal se perdent dans la nuit et le froid et périssent dans les glaces. Parmi eux, « Kyra et Werner, Ingman et Engström », qui devaient se marier bientôt. En 2013, Ellinor a repris l’entreprise de bateaux-taxis de son père, qui, handicapé, vit dans la même maison qu’elle, à l’étage supérieur. Elle sent le poids des années sur ses épaules, mais n’envisage pas de quitter l’île, sinon une journée dans l’année pour des emplettes dans la capitale. Un jour, arrive Herman Engström, dessinateur animalier reconnu, qu’elle a aimé lorsqu’elle sortait de l’enfance. Herman Engström a vécu au Labrador, avant de divorcer et de revenir dans l’île pour vendre la maison familiale. Ellinor et Herman sauront-ils faire renaître leur complicité d’antan ? Par-delà les glaces est un roman émouvant, qui tire en partie sa force de ce cadre exceptionnel, l’archipel de Stockholm, que Strindberg lui-même avait déjà décrit. « Hustrun était l’univers d’Ellinor, elle en connaissait tous les noms et toutes les espèces. Elle-même était un papillon. Un papillon diurne, une belle de jour. Et son existence ne serait pas longue. L’existence, en fait, était quelque chose qu’elle subissait, jour après jour. » Gunilla Linn Persson (née en 1956) cite plusieurs poètes (dont Harry Martinson et Karin Boye) au cours de son récit et sait manier les regards, les paroles, pour leur donner l’acuité d’une nostalgie que le lecteur conservera longtemps.
* Gunilla Linn Persson, Par-delà les glaces (Hemåt över isen, 2015), trad. Martine Desbureaux, Les Escales, 2017
Nous tombons
En Suède, la ville de Linköping, au nord est du lac Vättern, est considérée comme le berceau de l’aviation : c’est là que sont installées les usines de l’avionneur SAAB, (Svenska aeroplan aktiebolaget), par ailleurs important producteur d’armement et ex-fabricant d’automobiles. Nous tombons, roman de Anna Platt (née en 1977), prend cette ville et ses environs pour cadre. Le crash d’un avion de chasse Grippen, en 1992, marque le quotidien des habitants et s’inscrit dans leur mémoire. Cinq d’entre eux, de différentes conditions sociales, vont se croiser. Outre le pilote, qui simule un accident alors qu’il songe à se suicider, on trouve la secrétaire d’une agence immobilière, un homme âgé qui ne s’est jamais remis d’un grand amour de jeunesse, une adolescente sportive... « Chacun a son système pour tenir à distance l’angoisse. Ma femme vaporise du parfum d’ambiance partout. Mais ça n’aide pas. (…) Pour ma part, je vais dans le hangar. Me colle contre l’avion. Pose ma joue contre sa carlingue et caresse des doigts le composite froid et doux. (…) J’ai commencé à rester auprès de lui certains soirs plutôt que de rentrer à la maison. » Un roman kaléidoscopique, façon effet papillon, d’une lecture agréable mais... où veut en venir l’auteure ? peut-on s’interroger.
* Anna Platt, Nous tombons (Vi faller, 2016), trad. Hélène Hervieu, Gallimard (Du monde entier), 2020