Poésie
Le Poids de la lumière
Le Poids de la lumière de Hanne Bramnes (née en 1959) est un recueil bilingue (français/norvégien) composé de plusieurs volumes parus indépendamment en Norvège, de 1983 à 2017. Comptant près de neuf cents pages, il s’ouvre avec celui intitulé Correspondances (1983) : « Le mal existe/ai-je écrit/même si je ne le vois pas/par la fenêtre de la cuisine. » Hanne Bramnes vit entre la Norvège et Berlin avec son mari, l’écrivain Lars Amund Vaage (né en 1952 et auteur d’une œuvre importante, notamment pour enfants, dont aucun titre n’est traduit en français). Sa production poétique est depuis longtemps reconnue et honorée en Norvège. La parution de ce gros recueil en français n’est que justice. Riche d’images, avec des mots simples, directs, la poésie de Hanne Bramnes évoque ces sensations disséminées dans la vie quotidienne. « La révolution continue/ici-bas sur le plan humain... » L’intérêt de l’auteure se pose sur une « nuit de la Saint-Jean », voire juste sur « l’entrée de la nuit », un moment ordinaire et cependant exceptionnel, ou encore sur cette « lumière bleue », quand « le reste est dans l’ombre ». Plus loin, les poèmes laissent la place à des textes en prose (Du sel sur l’œil), puis à des poèmes plutôt destinés aux enfants. Les gravures de Florence Barbéris (née en 1964) accompagnent discrètement l’ensemble. Un beau livre, vers lequel revenir souvent.
* Hanne Bramnes, Le Poids de la lumière(Vekta av lyset, 2013), trad. Anne-Marie Soulier ; eaux-fortes Florence Barbéris,Érès (Po&psy), 2018
Musée britannique
Après Reine d’Angleterre (même éditeur, 2020), voici Musée britannique, de Jørn H. Sværen (né en 1974). Nous avions eu beaucoup de mal à nous plonger dans le premier volume. Le second ne nous semble guère plus aisé d’accès. Les pages blanches abondent, pourquoi pas, mais où se niche la poésie ? « La langue est pauvre/l’amour est donné/nous sommes des mendiants » : ici ou là une fulgurance et puis... du blanc. Ou bien un rectangle noir. Suivi, au verso, du même rectangle noir. Ou encore un texte sur une église ou sur les élans, dont ne voyons pas l’opportunité. Plus loin, un autre sur les armoiries, les blasons. L’art de l’héraldique semble fasciner l’auteur. « La poésie est le bouclier vide », écrit-il. Plus loin : « la corne est vide ». Que de vide, oui. Le livre est bien imprimé, bien fabriqué, mais une page blanche reste une page blanche – qu’en dire ?
* Jørn H. Sværen, Musée britannique (Britisk museum, 2020), trad. du norvégien Emmanuelle Reymond, Éric Pesty éditeur, 2023
Reine d’Angleterre
Reine d’Angleterre, de Jørn H. Sværen (éditeur, musicien, né en 1974) : c’est dommage, ce livre est bien imprimé, bien présenté, mais... nous n’y comprenons rien. Autant le dire plutôt que de rédiger une critique bidon, parler de chef-d’œuvre à découvrir ou d’auteur injustement méconnu. Beaucoup, beaucoup de pages blanches et, entre deux, une ligne, ou deux ou trois, et des bribes de textes sur Rome ou sur Athènes, ou encore sur une toile de Vilhelm Hammershøi, et quelques photographies. Où l’auteur veut-il en venir ? Où se dissimule la poésie censée être le genre de ce volume (« Il ne s’agit pas de prose, mais de poésie, et pas de poème isolé, mais de recueil ou suite » indique la quatrième de couverture) ? Dommage, vraiment, mais nous n’accrochons pas le moins du monde.
* Jørn H. Sværen, Reine d’Angleterre (Dronning av England, 2011), trad. Emmanuelle Reymond, Éric Pesty éditeur, 2020
Tarjei Vesaas
« Quelque part se trouve un trait final.
Les roseaux s’inclinent sous le vent nocturne.
Le soleil du ciel frappe les profondeurs de la terre.
Des roseaux peuvent s’agrandir et scintiller
Dangereusement, s’inclinent face à la puissance
Mais se dressent vers le soir.
De grands jours sont entraînés
à l’aide du ciel.
Les sèves montent au sommet des arbres les plus hauts. »
(« Vent de nuit », in Tarjei Vesaas, Être dans ce qui va, trad. Éva Sauvegrain et Pierre Grouix, Rafael des Surtis/Éditinter, 2006)
Tarjei Vesaas (1897-1970) est l’auteur d’une œuvre considérable constituée de romans et de poèmes. Que trouve-t-on de lui aujourd’hui en librairie ? À lire pour se sentir un tout petit moins bête.
Vie auprès du courant
Il se trouve toujours et encore des textes inédits à éditer, en français, de Tarjei Vesaas, et nous ne nous en plaindrons pas. Le dernier, ce recueil de poèmes intitulé Vie auprès du courant (avec, à sa suite, le texte original en nynorsk), est tout simplement excellent. Ne taisons pas notre bonheur de lecture, en effet. Vesaas nous invite ici à cheminer avec lui en ces lieux qui sont les siens, il nous les montre, cet arbre, ou le soleil, cette « cascade brûlante », le « soir obscur sur le chemin du retour », toutes choses banales au point d’en perdre l’insignifiance et de se parer d’une acuité singulière, inédite, d’une beauté immense. Vesaas sait nous parler avec une sobriété complice, « la clairière lévite autour de moi », dit-il, et c’est un monde qu’il met à nu, qu’il pose dans sa paume, sur lequel il souffle et que nous pouvons contempler d’infinis instants. Que de beauté, que d’intelligence, que de sensibilité, ici, que Vesaas peigne un lac ou une montagne ou le « vent nocturne » de ses mots précis et cependant jamais définitifs, qu’il nous indique comme en passant les « dures créatures à carapaces sur le dos » sous terre ou les « petits rongeurs » qui meurent sous le poids de la neige, ou bien qu’il nous désigne une « barque noire goudronnée » ou encore un « camion au long cours », ce TIR « qui doit avancer, avancer, avancer »… Tarjei Vesaas nous ouvre un monde, son monde, vif et quiet – pourtant –, un monde où la vie est partout et si l’écrivain est mort en 1970, peu après avoir relu les épreuves de ce recueil, sa voix heureusement ne s’est pas tue.
* Tarjei Vesaas, Vie auprès du courant (Liv ved straumen, 1970), trad. du nynorsk Céline Romand-Monnier (avec la complicité de Guri Vesaas et Olivier Gallon), postface Olivier Gallon, La Barque, 2016
« Le pessimiste »
« Dans l’instant/tous les jours sont grands./L’herbe est verte/et l’air chaud./Mais ces temps formidables,/à quoi les employer ?/Les voitures et les cheminées/ont rendu l’air toxique./L’air toxique/des hommes l’ont épuisé/pour s’en remplir les poumons./Le bavardage a exténué/tous les mots valables. » (Tarjei Vesaas, in Vie auprès du courant)