Voyages

Laponies 1938

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Ne serait-ce pas un peu se moquer du monde, que d’inscrire au catalogue des éditions des Amis de la culture européenne un ouvrage du dénommé Saint Loup (Les Copains de la Belle Étoile) et un autre de Marc Augier (Laponies 1938), alors qu’il s’agit du même auteur ? Marc Augier (1908-1990), donc, qui adopta le pseudonyme de Saint Loup lorsqu’il s’engagea dans la collaboration avec l’Allemagne nazie. Hasard, peut-être, du calendrier éditorial : alors que paraît cet ouvrage, le nom de Saint-Loup est en préface de la réédition des mémoires d’un haut responsable nazi, le colonel SS Otto Skorzeny. Une figure de l’époque, Augier/Saint Loup, condamné à mort par contumace en 1948 et réfugié en Amérique latine, revenu en France et amnistié cinq ans plus tard. L’un des artisans du GRECE (Groupement de recherche et d’études sur la civilisation européenne) et de la Nouvelle droite – autrement dit de cette extrême droite universitaire ou pseudo-universitaire qui entend faire montre de respectabilité. En quatrième de couverture de Laponies 1938, pas un mot sur le parcours peu avenant de celui qui se définissait comme « hitlérien français ». Ne faut-il retenir de l’auteur que l’aventurier, l’amoureux des grands espaces sauvages, le précurseur des auberges de jeunesse, « une sorte de directeur de conscience du mouvement » (« petit socialiste bêta », comme il se définit lui-même, il deviendra un temps l’assistant de Léo Lagrange, quand celui-ci sera sous-secrétaire d’État aux sports et à l’organisation des loisirs du gouvernement de Front populaire) ? Ce volume, Laponies 1938, est constitué de deux textes quasiment identiques, Solstice en Laponie (publié initialement en 1940) et Les Skieurs de la nuit (1944). Laponies 1938 (puisque selon l’auteur la Laponie est multiple) emmène le lecteur sous les latitudes de l’Europe du Nord, dans cette région, la Laponie/Sapmi, donnée, en 1938 comme aujourd’hui, comme l’une des dernières terres sauvages du continent. « Tout n’est qu’harmonie, ordre, beauté dans ce pays. » L’auteur est un baroudeur, il s’intéresse de près à ce territoire considéré par les ignares comme situé au pôle Nord, rencontre ses habitants, cherche à connaître leurs coutumes. Pour qui fait abstraction de ses envolées lyrico-guerrières, il y a là un récit de voyage presque ethnographique, fourmillant de détails. Mais mieux vaut lire Raymond Latarjet (1911-1998), son contemporain, biologiste et radiobiologiste également passionné de ski et auteur d’un volume intitulé Laponie sorti à la même époque (1943), car ses réflexions ne sont pas toujours à prendre au sérieux. Ainsi : « Notre génération est marquée par une tendance très nette vers un retour au nomadisme. » Pour la génération en uniforme de soldat, sans nul doute, mais pour les autres... Sauf à parler de déportation ! Cette vision, la décadence européenne contrée par un retour à la nature, incite Marc Augier à défendre la conception national-socialiste allemande : « Il s’agit pour l’individu de puiser aux sources de vie héroïques et esthétiques, de recevoir par conséquent l’enseignement du combat naturel et de tout ce qu’il implique : sélection impitoyable des espèces, sélection des aristocraties par le combat de la vie, notion nouvelle du droit qui s’établit par l’action du plus fort et du meilleur, enfin recherche et application de la notion de beauté et de grandeur véritables. » Du lyrisme, oui, qui a conduit des millions d’individus à s’affronter, certains animés par l’idée du « combat naturel ». Avec la montagne, notamment, comme rite de passage, comme expérience initiatique. Car Marc Augier, au nom de son culte du progrès technologique associé à une certaine idée de la nature (celle qui met aux prises l’homme avec son environnement plus que celle, le terroir, prônée par Pétain), voit dans le nazisme la possibilité d’une régénérescence de la civilisation occidentale, indispensable selon lui. Ce qui le conduira, dans son parcours collaborationniste qu’il ne reniera jamais, à s’engager dans le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) et dans la Division Charlemagne de la Waffen SS. « Dans toutes nos activités, dans le domaine des loisirs comme dans les autres, nous avons le devoir de chercher le dépassement, de renforcer notre souffle, de cultiver notre volonté de puissance pour redevenir, s’il en est encore temps, un peuple de maîtres. » Discours sidérant, qui s’oppose à l’état d’esprit des Lapons – lesquels n’ont jamais mené de guerres, se satisfaisant longtemps de vivre dans une certaine invisibilité. Et quand, en 1944-45, leur territoire a souffert, jusqu’à la destruction quasi-complète de l’ensemble des édifices et des communes, les responsables en furent les amis si bien intentionnés de Marc Augier. Laponies 1938 ? « Ces récits inauguraux posent les questions premières et éternelles : celles de l’engagement, du défi et de la nature. » (4e de couverture) Et de l’horreur, et de l’abjection, pourrait-on ajouter. Les Lapons/Sames méritent beaucoup mieux qu’un tel hommage, qui relève plus de la récupération idéologique.

* Marc Augier, Laponies 1938, Les Amis de la culture européenne, 2021

 

71 & autres faits divers

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La Laponie est une région qui ne cesse de fasciner. La sillonner, l’explorer, est un rêve que certains voyageurs, par un moyen ou par un autre, tentent de réaliser. Ainsi, Valérie Courtet, qui, dans 71 & autres faits divers (Géorama, 2015), relate l’« itinérance solitaire d’une femme en Laponie ». « J’y vais pour les aurores boréales (…) et les lumières particulières, timides, en demi-teinte de blanc, pour la nature où le moindre sursaut s’apparente à une effervescence, pour la solitude, pour démystifier peut-être l’idée que tout, à cette saison (mi-février) en cet endroit, n’est qu’hostile… » Son voyage la mène de Kvikkjokk, en Suède, au Cap Nord, en Norvège, puis à Ivalo, en Finlande. À skis et avec une pulka (chariot) lourde de… soixante-et-onze kilos de chargement ! D’étonnantes rencontres et la solitude toujours en contrepoint dans un paysage époustouflant. 

La Dernière cabane avant la forêt

La derniere cabane avant la foret

« Un mois pour préparer ce voyage. » Quatre jeunes hommes décident d’entamer ensemble un périple à pied en Laponie, en hiver. François, Christophe, Marc, plus le narrateur. Chacun est décrit en quelques mots, on n’en saura pas beaucoup plus. « Pour ma part, je ne propose que ma bonne humeur et un souffle inoxydable. Ce qui paraît une bien maigre dot suffit à me faire accepter par le groupe. » Après avoir utilisé plusieurs moyens de locomotion, les voilà arrivés sur les berges du lac Inari, au nord de la Finlande. La Laponie est d’une beauté à couper le souffle, découvrent-ils. « Ici, la beauté est livrée brute avec les ingrédients qui sont les objectifs de tous les arpenteurs de la terre. Un territoire profond où les routes sont invisibles, où le silence abonde, où les vivants sont rares et où la liberté s’envisage. Que vais-je faire de cette profusion ? » Il y a bien des façons d’appréhender les terres boréales. L’été ou l’hiver, en groupe ou... seul, pour les plus courageux. Didier Guillot offre là non pas tant un récit qu’un « témoignage » assez intimiste. Le lecteur n’a pas de mal à embarquer et à mener le voyage de quelques jours entre Inari et Ivalo. Dommage que les quatre membres de l’expédition demeurent entre eux, ne sortant guère de leur programme, mais un séjour en Laponie, même court et superficiel, ça ne se refuse pas.

* Didier Guillot, La Dernière cabane avant la forêt, La Trace (Texte), 2024

Au pays des vendeurs de vent

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Quelle idée a donc traversé Alessandra Orlandini Carcreff pour, dans Au pays des vendeurs de vent, rassembler et examiner divers récits de voyages du XVIIe au XXe siècle dans cette région excentrée longtemps mystérieuse : la Laponie ? Avouons d’emblée que son ouvrage, d’une grande érudition, est passionnant. S’aventurer en terres lapones (« par convention », elle préfère utiliser ce terme, si longtemps en vigueur, plutôt que celui de « same », aujourd’hui plus approprié car non péjoratif) il y a un siècle ou deux ou un peu plus (l’auteure remonte brièvement à l’Antiquité et au Moyen Âge) nous transporte littéralement dans un autre monde. Le froid règne en maître et la « civilisation du renne » s’affirme pleinement. Relégués aux confins du continent européen, les Lapons, pour beaucoup, apparaissent comme membres de peuplades « arriérées » dont il n’y a pas grand-chose de bon à observer. Adam de Brême décrit ainsi à la fin du XIe siècle « une image de sauvagerie et d’animalité des peuples nordiques, qui ne connaissent pas la vraie foi ». Selon lui, « les Lapons, en particulier », précise Alessandra Orlandini Carcreff, « appartiennent au niveau le plus bas de la civilisation, présentés avec des caractères animaux et monstrueux, dont l’attitude barbare dérive principalement des conditions climatiques… » Ces païens s’adonnent de plus à la magie. Plus que nos guerriers ou que nos marchands conquérants, nos philosophes auraient pu toutefois s’inspirer de ces hommes et de ces femmes qui n’ont jamais songé à mener de guerre contre autrui ni contre eux-mêmes, tout en sachant résister à l’oppression quand il le fallait… Un type d’individus vraiment très rare sur la planète ! Mais seuls quelques voyageurs, dont Alessandra Orlandini Carcreff rappelle ici les noms et avec précisions les biographies, se sont intéressés aux Lapons, au point, avec des intentions diverses, de tenter de leur rendre visite. Des cartes représentant leurs trajets complètent le volume. Cet essai peut se lire encore comme une histoire du voyage touristique à l’extrême Nord de l’Europe, région qui demeure souvent « exotique » en dépit, aujourd’hui, de sa relative accessibilité. Un ouvrage à savourer pour les amoureux de ce si beau bout du monde.

 

* Alessandra Orlandini Carcreff, Au pays des vendeurs de vent, Presses universitaires de Provence (Textuelles), 2017

Voyage en Laponie en… 1681

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Il ne s’agit certes pas tout à fait d’une nouveauté puisque l’ouvrage fut publié pour la première fois en 1731. Voyage en Laponie relate le séjour de Jean-François Regnard dans cette région un siècle plus tôt. Non moins qu’aujourd’hui, le pays des Sames fascine. Carl von Linné le visitera en 1732 et en décrira longuement la faune et la flore. Jean-François Regnard (1655-1709), qui deviendra par la suite un auteur dramatique reconnu, le traverse d’est en ouest, accompagné de deux camarades, après avoir sillonné la partie orientale de la Suède. Il observe. Avec les yeux d’un homme de son époque, pour qui les Lapons sont des « gens sauvages qui n’ont aucune demeure fixe », aux mœurs repoussantes. On lui reproche de répéter ce qu’il a lu ou entendu ailleurs, et son témoignage souffre d’un manque d’authenticité, comme nous le montre Philippe Geslin, professeur et ethnologue, dans sa préface. Ainsi devaient être les Lapons à la fin du XVIIe siècle ; ou ainsi voulait-on qu’ils soient, en cette époque où l’on a cesse de repousser les limites géographiques du monde connu. Regnard livre un texte littéraire bien plus qu’un texte scientifique. Il parvient cependant à faire du récit de son voyage un document d’ethnologie qui apprend autant, au lecteur d’aujourd’hui, sur les Lapons que sur les Occidentaux d’alors. « Ne connaissant point de médecins, il ne faut pas s’étonner s’ils (les Lapons) ignorent aussi les maladies, et s’ils vont jusqu’à une vieillesse si avancée qu’ils passent ordinairement cent ans, et quelques-uns cent cinquante. » Instructif, donc, et à découvrir – ou redécouvrir.

 

* Jean-François Regnard, Voyage en Laponie, Ginkgo, 2016

Propre à faire rire, les Lapons ?

« Ces hommes sont faits tout autrement que les autres. La hauteur des plus grands n’excède pas trois coudées ; et je ne vois pas de figure plus propre à faire rire. Ils ont la tête grosse, le visage large et plat, le nez écrasé, les yeux petits, la bouche large, et une barbe épaisse qui leur pend sur l’estomac. Tous leurs membres sont proportionnés à la petitesse du corps : les jambes sont déliées, les bras longs ; et toute cette petite machine semble remuer par ressorts. » (Jean-François Regnard, Voyage en Laponie)

« On dirait une autre planète… »

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Belle initiative (qui aurait d’ailleurs méritée d’être explicitée dans l’ouvrage), que d’emmener des enfants d’une école de Marseille en voyage aux quatre coins de la planète et de publier ensuite un livre décrivant la région visitée. Doté de belles illustrations, le volume consacré aux « peuples du Nord » mentionne deux voyages, l’un en Laponie, Sur le sentier sámi, et l’autre (ils sont présentés tête-bêche), aux confins de la Sibérie, Sur le sentier tchouktche. « Anecdote : Lorsqu’un Sámi veut protester contre quelque chose, il met son costume à l’envers. C’est la façon la plus non-violente de manifester ! » Guide de voyage original et plaisant…

 

* Enfants des cinq continents, Sur le sentier sámi/Sur le sentier tchouktche, In octavo, 2015