Essais

Le Peuple des huttes

Le peuple des huttes

Esther Blenda Nordström (1891-1948) a souvent été comparée à... Jack London, nous avertit la quatrième de couverture de ce livre, Le Peuple des huttes. Image flatteuse, due à « son intrépidité et sa liberté d’esprit ». On pourrait aussi parler, plus tard, de Günter Wallraf, voire d’Anne Tristan. Le Peuple des huttes paraît en Suède en 1916 et surprend les lecteurs. Les Sames, d’ordinaire si déconsidérés et spoliés de leurs terres ancestrales, disposent donc d’une culture qui leur est propre ? Ester Blenda Nordström avait déjà fait parler d’elle deux ans auparavant, nous révèle la traductrice, Anne Karila, dans sa préface, en publiant En piga bland pigor (Une Fille de ferme parmi d’autres), ouvrage dans lequel elle exposait son expérience professionnelle dans le Sörmland. Ce deuxième titre, est « le fruit d’une expérience vécue en totale immersion ». Fin 1914, alors que la guerre fait rage en Europe (épargnant cependant la Suède, neutre), Ester Blenda Nordström postule pour devenir institutrice itinérante pour les enfants sames, dans le Norrbotten. Avant de parvenir à son poste, elle traverse une bonne partie de la région alors appelée la Laponie – aujourd’hui le Sápmi (elle parle donc de « Lapons » sans que ce soit péjoratif). Une tempête de neige se lève, l’angoisse la saisit mais elle s’en sort, le court été nordique va bientôt arriver. Elle observe que les hommes s’occupent des rennes et les femmes de la kåta, la hutte sous laquelle tous vivent : « il en va ainsi depuis la nuit des temps ». Si la vie quotidienne des Lapons est difficile, chacun a sa place, tout fonctionne plutôt bien dans un monde en vase clos. « Dès que deux ou trois Lapons sont ensemble, on peut être sûr que la discussion bat son plein, et aussi sûr qu’il n’est question que de rennes, de pâturage, de transhumance et de conditions météorologiques. (…) Ils sont très peu concernés par les affaires du royaume de Suède et n’en savent pas grand-chose, ils n’ont pas d’autres livres que les sermons finnois, pas de journaux non plus. » Empreint tant d’humanisme que, lorsque l’iniquité est trop flagrante, d’une révolte larvée, le récit de Ester Blenda Nordström se lit comme un roman. Ses protagonistes accompagnent la narratrice dans son périple et le lecteur découvre au fur et à mesure les mœurs de la population lapone. Les détails abondent, l’auteure fait œuvre d’ethnologue quoi qu’en dise la traductrice, contant de très belles scènes, comme ces enfants en train de jouer dans la neige : « Leurs rires et leurs cris joyeux vous donnent l’impression de ne jamais avoir vu des enfants réellement jouer auparavant, comme ici sous ce ciel bleu profond, dans cette étendue blanche infinie baignée par ce soleil radieux qui sourit à toute chose. » Apprenant des bribes de leur langue, découvrant et leurs mœurs et les moustiques, bien qu’épousant en gros l’idéologie de son temps, Ester Blenda Nordström dénonce l’ostracisme à l’encontre des Lapons : quand une chambre d’hôtel est refusée à l’un d’entre eux, à Kiruna, par exemple. À propos des méthodes d’éducation qui ne sont pas adaptées aux enfants sames, parce que les mots et les images utilisés ne signifient rien pour eux, ses observations évoquent celles d’Ellen Key (1849-1926), appelant à revoir les manuels pédagogiques et à accorder enfin de la bienveillance aux jeunes élèves – ce qui fut fait. « J’ai compris depuis longtemps que la différence entre consonnes sonores et sourdes est pour eux un obstacle insurmontable... (…) On ne peut pas exiger d’enfants de lire correctement ce qui ne leur est pas plus intelligible que du siamois. » L’édition en français de ce livre, belle ode à la culture same, est une bonne idée. Ester Blenda Nordström écrivit quatre récits de voyage, avant que l’alcool et la fatigue aient raison d’elle. En 2017, le travail de sa biographe, Fatima Bremmer, la sort de l’oubli en Suède. Gros succès de vente, adaptation au théâtre. Nombre d’ouvrages sur le monde same ont vu le jour en France ces dernières années, la plupart de bonne tenue. Celui-ci, Le Peuple des huttes, écrit par une aventurière humaniste, s’il n’est pas le plus complet, est sans doute l’un des plus touchants tant son auteure s’implique. « Il n’y a pas d’élèves plus travailleurs que ces petits Lapons. Ils apprennent facilement et vite, sont curieux de chaque nouveau sujet qu’on aborde, accueillent avec joie tout le savoir qu’on cherche à leur inculquer », écrit-elle, se souvenant plus loin avoir fait classe en plein air, devant « un grand feu qui fume, des gamins studieux, penchés sur leurs exercices de lecture ou d’écriture, et des chèvres qui ruminent »... ! Et quand vient pour Ester Blenda Nordström l’heure de rentrer chez elle, à Stockholm, c’est le cœur gros : « ...Personne ne peut se réjouir de vous quitter », lâche-t-elle à ses hôtes.

* Ester Blenda Nordström, Le Peuple des huttes (Kåtornas folk, 1916), trad. du suédois Anna Karila, Belloni, 2022

Comment voyager dans le Grand Nord quand on est...

Katia Astafieff (née en 1975 en Lorraine) aime à voyager seule. « Petite, blonde et aventureuse », comme l’indique le titre de son ouvrage, elle se rend en Laponie au cours de différents voyages, à divers moments de l’année. Évitant les hôtels de luxe et les destinations touristiques, elle tente de faire la connaissance des « gens du cru ». « Je voulais découvrir le Nord, le vrai, celui qui glace le sang comme un polar nordique, avec ses soleils insaisissables qui tantôt ne se couchent pas, tantôt refusent de montrer le bout de leur nez pendant des semaines. (…) Aller au-delà du cercle polaire et toucher un tout petit bout de ce Nord. » Jamais avare d’anecdotes sur cette région à cheval sur quatre pays (Norvège, Finlande, Suède et Russie, donc), Katia Astafieff nous donne ici quasiment la version off, ou la version longue, du Guide du Routard. Elle accomplit son voyage en plusieurs fois : la presqu’île de Kola, côté russe, la Finlande, la Norvège. Pas la Suède. Ses rencontres sont multiples : des Sames et des habitants d’aujourd’hui de la Laponie, parfois venus de très loin. Complément de voyage pour les amoureux de cette région, ce livre gentillet montre une Laponie bien malmenée et sous le joug de risques écologiques majeurs. (Attention, page 109 : le mouvement de Lars Levi Læstadius n’est pas né « au milieu du XIVe siècle » mais bien plus tard, au milieu du XIXe...!)

 

* Katia Astafieff, Comment voyager dans le Grand Nord quand on est petite, blonde et aventureuse, Éditions du Trésor, 2020