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Les Guerriers de l’hiver
« Imaginez un pays minuscule, imaginez-en un autre gigantesque. Imaginez maintenant qu’ils s’affrontent. » Ainsi commence Les Guerriers de l’hiver, le dernier roman d’Olivier Norek (né en 1975 à Toulouse), ancien flic et auteur de best-sellers. L’hiver dont il est ici question est celui de la guerre du même nom, quand l’URSS attaqua la Finlande, en 1939. La Guerre d’hiver fut suivie, deux ans plus tard, par la Guerre de Continuation. La Finlande résista héroïquement (quel que soit l’auteur, c’est toujours ce mot qui est employé pour désigner le courage des soldats finlandais dix fois moins nombreux et moins bien équipés que les soldats soviétiques), mais fut amputée d’un quart de son territoire, une grosse partie de la Carélie, et fut assujettie au bon vouloir de l’URSS – la « finlandisation », jusqu’au démantèlement de l’empire soviétique en 1991. « La Finlande n’a jamais été une menace pour la Russie. Alors de quoi Staline pourrait être effrayé, effrayé au point de nous envahir ? » interroge un personnage au début du roman. En effet. Mais la Finlande se situait entre la Grande-Bretagne et l’URSS, entre Berlin et Moscou. En l’envahissant, les soviétiques entendaient protéger leurs frontières de l’Allemagne hitlérienne. Sur le papier, l’épreuve de force semblait être largement en faveur des « soldats rouges ». C’était sans compter sur le courage et l’esprit patriotique de ce pays si jeune, vingt ans d’indépendance, en manque de matériel mais pas d’ingéniosité, face à une armée soviétique privée de ses principaux gradés (les Grandes purges se terminaient) et dirigée par des incompétents soucieux de ne jamais déplaire au chef suprême, cette ordure de Pout..., pardon, de Staline, devant qui les plus grands de ce monde se prosternaient. Staline commandait « sans pitié, ses militaires comme ses citoyens, par une peur profonde que l’on préférait nommer respect, et une soumission absolue que l’on préférait nommer loyauté ». La Finlande perdit finalement cette guerre, qui lui avait été imposée, sans toutefois être humiliée, comme le souhaitait l’odieux prétendu « petit père des peuples » : « Une nation ogre de cent soixante-et-onze millions d’habitants n’avait pas réussi à dominer un pays pacifique de trois millions et demi d’âmes... » Richement documenté, le livre d’Olivier Norek est centré non pas sur le maréchal Mannerheim, alors à la tête de l’armée finlandaise et figure centrale déjà de plusieurs biographies, mais sur celle beaucoup moins connue de Simo Häyhä (1905-2002). Surnommé « La mort blanche » par les soviétiques, ce paysan d’un mètre cinquante de haut, remarquable tireur d’élite, galvanisa ses camarades de combat (ce livre, Les Guerriers de l’hiver, de par son intensité et la somme de questions qu’il soulève, peut être mis en parallèle avec Un Homme d’Oriana Fallaci). Les chiffres sont incertains, mais il aurait abattu plus de cinq cents ennemis, dans des conditions particulièrement difficiles – notamment avec des températures entre – 20° et – 40° ! « Personne, aujourd’hui, ne sait réellement ce que l’on doit aux soldats finlandais de la Guerre d’Hiver. » Olivier Norek restitue avec talent cette période affreuse pour un peuple qui n’aspirait qu’à la paix – et qui vient d’adhérer à l’OTAN après des années de neutralité car son intégrité est de nouveau menacée, par le même ennemi qu’autrefois. Toute ressemblance avec l’« opération spéciale » menée par la Russie contre l’Ukraine ne serait évidemment pas fortuite. Que faire face à la force brute ? Comment se comporter, comment agir, au-delà des belles déclarations de principe ?
* Olivier Norek, Les Guerriers de l’hiver, Michel Lafon, 2024
Attends-toi au pire
Au milieu des années 1960, Matti et Beata Aalto émigrent en Suède. Ils s’appeleront dorénavant Alto. Matti s’est auparavant battu pour préserver l’indépendance de la Finlande. Il voit à présent des ennemis (les communistes, autrement dit les Russes) partout, « ...exposant au mur ses médailles de guerre contre l’Armée rouge et clamant régulièrement sa méfiance envers la dictature du prolétariat ». La Suède représente pour lui et Beata une terre d’accueil favorable, où leurs jumeaux et l’enfant à venir (Beata est enceinte) pourront grandir dans de bonnes conditions. De caractère quelque peu excentrique et volontiers volubile, Matti se lance dans l'élevage d'« insectes prédateurs » contre les « nuisibles ». « Malgré la solide conviction des grands propriétaires de l'efficacité sans faille des produits chimiques, il leur avait, lui, le Finnois fou d'insectes, montré une alternative écologique ». Le reste de la famille s’acclimate autant que possible à son nouveau pays, si proche et cependant si différent du pays natal. Matti, lui, subit l’époque. La nonchalance des Suédois l’exapère et il s’essaie à en prévenir les siens. « Et rappelez-vous, mes enfants, qu’il n’existe aucune raison de ne pas s’attendre au pire ! » Lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’un cancer, il décide d’attribuer une belle somme d’argent à chacun de ses enfants (trois, car l’un est officiellement mort, mais est-ce si sûr ?), à condition, pour eux, de montrer qu’ils méritent cette avance sur héritage - son entreprise d’insectes prédateurs. Et cela se corse. Sa fille est amoureuse d’un voyou, qui incendie le bar qu’elle vient d’ouvrir ; son cadet aimerait écrire, mais sèche devant la page blanche ; et son autre fils se met les dealers de la capitale à dos... « C’était douloureux, mais il fallait se rendre à l’évidence : aucun des enfants ne saurait être à la tête d’une entreprise. » Matti quittera-t-il la vie l’esprit serein ? Avec Attends-toi au pire, Petteri Nuottimäki (né en 1968) livre là une saga familiale d’aujourd’hui avec pléthore de références historiques, un roman plein d’humour d’un bout à l’autre. Autrement dit, « un certain roman sur les aventures excentriques d’une drôle de famille d’immigrants. »
* Petteri Nuottimäki, Attends-toi au pire (Förvänta dig det värsta, 2015), trad. Emmanuel Curtil, Gaïa, 2018