Arts
Alvar Aalto
C’est un livre reprenant les principales œuvres de l’architecte finlandais Alvar Aalto (né à Kuortane, 1898-1976) que nous propose là Philippe Trétiack. De petit format, 168 pages, débordant d’illustrations, il synthétise très bien le travail de l’un des plus grands artistes du XXe siècle, celui « qui deviendra pour son pays l’équivalent de Pablo Picasso pour l’Espagne ou de James Joyce pour l’Irlande ». Venu au monde à une époque où la Finlande appartient encore à la Russie, Alvar Aalto oscille entre une culture spécifiquement finnoise, à la suite de Elias Lönrott, et une autre plus ouverte sur le monde, notamment quant aux préoccupations sociales, appliquant les théories du Bauhaus. « ...Il veut desserrer l’étreinte de sa nation sans pour autant la renier. Entre continuité classique et modernité de la rupture, Alvar Aalto grandit et son pays grandit avec lui. » L’architecture doit être fonctionnaliste, estime-t-il (mais plus « organique » que « fonctionnaliste », affirme quant à lui Michel Ragon dans sa magistrale Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes), et servir à tous. Dans une Finlande où le bouleau est roi, le bois sera son matériau de base – au détriment du béton, alors tellement à la mode. Les courbes de ses meubles rappellent les rives des lacs. Selon lui, « un architecte, loin d’être un artiste, est d’abord un administrateur social ». Point de vue intéressant et novateur, qui va l’éloigner des constructions pompeuses toujours en vogue, et le rapprocher des intellectuels progressistes. Dès le début des années 1920, il réalise des constructions à destination du peuple de Finlande, comme la Maison des travailleurs de Jyväskylä, avec son aménagement intérieur grandiose. Il redonne vie à des églises en mauvais état (Antolla, Muurame, etc.) ou, son œuvre peut-être la plus connue, au sanatorium de Paimio. Au cours de la décennie suivante, il s’intéresse à l’industrie (fabrique de cellulose de Sunila) et à la culture (bibliothèque de Viipuri), mais également au mobilier de tous les jours (fauteuils, chaises, luminaires...). « Aalto n’eut pas à mener de combat idéologique. Sa pensée s’insérait (…) dans celle du gouvernement socialiste finlandais », note encore Ragon. Le livre de Philippe Trétiack s’ajoute à d’autres, de plus grand format et plus coûteux, parus ces derniers temps pour célébrer l’une des grandes voix originales du pays des mille lacs. Un bon ouvrage de référence.
* Philippe Trétiack, Alvar Aalto, La Bibliothèque de l’amateur, 2024
La Lumière venue du Nord
Née à Helsinki en 1972, Elina Brotherus est une artiste s’intéressant à la photographie et à la vidéo. Elle explore « la figure humaine mêlée au paysage » et « le regard que l’artiste porte sur son modèle », nous dit la notice biographique de ce livre, La Lumière venue du Nord, catalogue d’exposition de ses photographies au Pavillon populaire, espace d’art photographique de la ville de Montpellier. C’est d’ailleurs le directeur artistique de ce lieu qui retrace la vie et la carrière de Elina Brotherus et la perspective artistique selon laquelle il convient, selon lui, d’observer ses œuvres. Celles-ci font toujours se répondre individus, femmes ou hommes, et paysages urbains, ou de montagne ou de campagne, interrogeant la place que nous occupons dans un univers finalement très travaillé. Ses photographies sont souvent conçues comme des tableaux. Le « moi » est décliné avec une rigidité qui, non sans surprise, finit par séduire. Relevons encore que Elina Brotherus intervient en France depuis des années, notamment avec des danseurs, et que ses photographies ont déjà été publiées ici. « …Derrière ces lumières, derrière toute cette beauté poursuivie avec une obstination et un succès rares, la fêlure intime vient resignifier ce qui a pu, faussement, se montrer comme l’exercice de style maîtrisé d’une photographe contemporaine surdouée », écrit Gilles Mora.
* Elina Brotherus, La Lumière venue du Nord, Hazan/Montpellier, 2016
Albert Edelfelt, lumières de Finlande
À l’occasion de l’exposition consacrée au peintre finlandais Albert Edelfelt (1854-1905) au Petit-Palais, à Paris, du 10 mars au 10 juillet 2022, la revue Beaux arts publie un hors-série. On y retrouve un artiste d’abord tenté par la représentation des paysages et des scènes de la vie quotidienne de son pays, avant de séjourner longuement à Paris et de rejoindre, dans sa technique et ses points de vue, Monet, Sisley et d’autres impressionnistes. « Il conserve (…) de son histoire personnelle, de l’enseignement reçu et de ses origines, des règles qui lui sont propres, une appréhension réaliste du monde, un trait plus sûr, des couleurs plus lissées et plus nombreuses. Edelfelt ne sera donc jamais un peintre impressionniste, tant s’en faut, mais simplement un artiste ancré dans son temps, perméable aux réflexions artistiques de ses contemporain », observe l’historien de l’art Alain Vircondelet. Difficile à classer, Albert Edelfelt se fit d’abord le chantre d’une Finlande rurale encore sous l’emprise de la Russie, dont il s’accommodait fort bien, avant de s’affirmer et de peindre une Finlande revendicatrice. Mort en 1905, il ne verra pas son indépendance mais y contribuera puisque, en 1899, il signe et diffuse une pétition intitulée « Pro Finlandia », imité par de nombreux intellectuels européens (dont Émile Zola et Anatole France). Bien des sujets de ses toiles sont à rapprocher de ceux de ses contemporains nordiques : Erik Werenskiold, Christian Skredsvig, Frits Thaulow, Eero Järnefelt, ou encore Hans Andersen Brendekilde. Cette exposition permettra-t-elle une nouvelle reconnaissance de son œuvre dans l’Hexagone ?
* Beaux arts magazine, Albert Edelfelt, 2022
Une Histoire de la musique finlandaise
Il peut être intéressant de commencer ce livre, Une Histoire de la musique finlandaise, par la fin : et de constater ainsi, en examinant comment l’œuvre de Sibelius a été perçue en France au fil du temps, le mépris avec lequel une musique est traitée, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans les schémas artistiques traditionnels. « Ennuyeux » est un terme qui revient souvent pour caractériser la musique du compositeur finnois, qui par ailleurs ne semble pas avoir été beaucoup écouté ici. Mais au-delà de ce qui est presque une anecdote, ce livre comble un manque et deviendra une référence. La musique finlandaise est présentée, d’hier à aujourd’hui, dans tous les genres (musique savante, folklorique, jazz, tango – avec l’Argentine, la Finlande est le pays du tango – et même punk et heavymetal ou encore joik). Chaque genre est contextualisé, ses grands noms sont présentés, l’influence du Kalevala est attestée. Henri-Claude Fantapié (né en 1938), chef d’orchestre et compositeur, Anja Fantapié (1941-2011), poétesse, écrivaine et enseignante, Erkki Salmenhaara (1941-2002), compositeur et critique musical, et Pan Salmenhaara (né en 1962), soliste dans des groupes de blues et de jazz, offrent là un ouvrage exhaustif qui permettra de faire connaissance avec une musique d’une extrême diversité. Notons que des compositeurs comme Einar Englund, Jukka Linkola ou Einojuhani Rautavaara mériteraient à eux seuls un ouvrage complet. À venir ?
* Henri-Claude et Anja Fantapié (avec Erkki Salmenhaara et Pan Salmenhaara), Une Histoire de la musique finlandaise, L’Harmattan/Adéfo, 2019
Gallen-Kallela, mythes et nature
Ce catalogue proposé par la revue Connaissance des arts : Gallen-Kullela, mythes et nature, accompagne l’exposition, au musée Jacquemart-André (du 11 mars au 25 juillet 2022), d’une sélection d’œuvres du peintre finlandais Axel Waldemar Gallén, dit Aleksi Gallen-Kullela (1865-1931) : essentiellement celles qui montrent une Finlande rurale. En 2012, le musée d’Orsay lui avait déjà consacré une rétrospective, ce qui explique le choix plus restreint aujourd’hui. Lacs, forêts, montagnes, les paysages sont ceux de l’intérieur du pays, que Gallen-Kullela connaissait bien et dont il se fit le chantre, en cette période où la Finlande était encore sous le joug russe. La mythologie finnoise est également présente, notamment autour du Kalevala, qu’il illustra avec grand talent. « Au fil des années, ses paysages gagnent en intensité, en puissance. Il y a dans sa peinture quelque chose de l’ordre du panthéisme, d’une divinisation de la nature. Même vidée de toute présence, celle-ci est habitée », relève Laura Gutman, co-commissaire de l’exposition. Effectivement, l’œuvre de Gallen-Kullea se distingue de celle des impressionnistes, qu’il appréciait pourtant. Il n’observe pas simplement la nature, mais s’immerge dans celle-ci et en restitue la parole, d’où cette impression de voix en surexposition de ses toiles. Ses personnages, quant à eux, sont ceux qu’il côtoie, nombre de « petites gens » en plein travail. À voir, en prenant son temps.
* Connaissance des arts, « Gallen-Kallela, mythes et nature », n° hors-série, 2022
Tove Jansson
C’est la biographie d’une femme aussi polyvalente que sympathique, que le critique de bande dessinée britannique Paul Gravett présente dans son livre sobrement intitulé Tove Jansson. À le lire, on se dit qu’il y a des personnages qui doivent impérativement sortir de la méconnaissance dont ils souffrent – tout au moins à l’extérieur de leurs frontières. Artiste aux multiples facettes, Tove Jansson (1914-2001) fut « peintre, illustratrice, dessinatrice, scénographe et muraliste, ainsi qu’auteure de Mémoires, de fiction, de livres pour enfants et de pièces de théâtre. Le prodige fut qu’elle excella dans tous les genres. » Ainsi Paul Gravett commence-t-il sa biographie de Tove Jansson, surtout connue en France pour ses ouvrages destinés aux enfants, centrés sur les Moomins, drôles de personnages qui vivent dans un lieu non moins bizarre. Mais Tove Jansson a signé également des romans et de nombreuses nouvelles, toujours empreints d’une grande sensibilité. Comme l’observe Paul Gavrett, elle posséda plusieurs vies, ce qui lui permit de ne pas se cantonner à sa passion première, la peinture, et d’exceller aussi dans l’écriture et l’illustration d’ouvrages. « En tant que femme, lesbienne et suédophone, Tove Jansson appartenait à trois minorités dans la Finlande du XXe siècle. » Trois défis dont elle fit une force. « En ce début de siècle incertain, son héritage résonne encore plus fort. Par leur célébration de la nature, de la créativité, de la diversité et de la réalisation de soi, les multiples vies de Jansson continuent d’enrichir profondément le monde. » Paul Gavrett ne manque pas de souligner que la Finlande, au début du XXe siècle, n’était pas tout à fait un pays comme les autres. Le droit de vote fut accordé aux femmes dès 1906 ; en 1917, suite à la révolution soviétique, le grand-duché de Finlande qui appartenait à la Russie obtint son indépendance ; et les femmes tinrent toujours un rôle conséquent dans la vie sociale, à égalité avec les hommes. De plus, « la petite Tove apprend de ses parents bohèmes que l’art est tout : une pratique quotidienne, aussi naturelle et vitale que respirer. » Elle découvre les illustrations des Suédois John Bauer (dont les personnages de trolls l’inspireront) et Elsa Beskow et, à partir de l’âge de sept ans, publie ses propres œuvres. À des tirages certes modestes, une vingtaine d’exemplaires, faits maison, mais tout de même sous le label « Éditions Tove » ! Dessinant ensuite pour le journal satirique antifasciste finno-suédois Garm, elle se moque des salopards du moment, Hitler et Staline aux premiers rangs, et, en 1941, est élue la plus drôle parmi l’ensemble des dessinateurs des pays nordiques. Suit un engagement relativement discret tout au long de sa vie (notamment en ce qui concerne son homosexualité, proscrite en Finlande jusqu’en 1971), qui ne s’est jamais démenti. Après 1948, ses illustrations au stylo noir ne sont pas sans évoquer les gravures sur bois d’un Masereel. « Certaines de ses images sont de telles sculptures de lignes qu’elles ressemblent à des gravures sur plaque de métal », convient Paul Gravett. Sur bois, sur métal, sur papier, qu’importe : l’art de Tove Jansson est maîtrisé, il n’est pas particulièrement pour la jeunesse, même les Moomins, sauf à considérer que laisser libre cours à ses émotions est un privilège des premières années de la vie. Ne manquons pas de souligner la superbe mise en page et l’iconographie foisonnante de ce livre, forcément appelé à devenir un incontournable.
* Paul Gravett, Tove Jansson (Tove Jansson, 2022), trad. de l’anglais Julie Debiton, Flammarion (Les illustrateurs), 2023
Regard d’artiste
« Je souhaite vivement que la place que nous laissons à ces œuvres au sein de nos propriétés départementales puisse attirer le plus grand nombre, passionnés ou curieux, et leur donner l’opportunité de découvrir l’art contemporain par le prisme d’un site historique », affirme Maël de Calan, président de l’EPCC (Établissement public de coopération culturelle) Chemin du patrimoine en Finistère, en préface de l’ouvrage Regard d’artiste consacré à Raija Jokinen (née en 1960). La Finlandaise, qui est passée par l’apprentissage du tissage et du design textile à l’Université d’Helsinki, réalise des personnages grandeur nature à partir de divers matériaux, notamment des fibres de lin, donnant à voir sur leur épiderme un enchevêtrement de « conduits » : vaisseaux sanguins, veines, branches, racines, rhizomes... Dans ces œuvres, « l’homme et la nature ne font qu’un ». Le physique et le mental s’allient, parfaitement en osmose. Peinture et broderie, armature en métal et fil à coudre les rendent étonnamment vivantes et leur installation dans des lieux chargés d’histoire, comme ici dans les jardins du domaine de Trévarez dans le département du Finistère, ne peut que décontenancer avec bonheur le public. « Avec les fibres, on peut pour ainsi dire dessiner. » Raija Jokinen reprend une technique connue depuis des millénaires, mais elle ne tisse pas les fibres de lin, préférant les assembler avec de l’amidon de riz avant de les coudre. Puis elle peint ses sculptures, leur donnant de l’allant. Une œuvre plastique quelque part entre Klimt et Giacometti. « À plusieurs reprises, j’ai dit que mon travail était à l’intersection de la peinture, de la sculpture, du graphisme et du textile. Après tout, le matériau de base des peintres est bien la toile de lin. » Ses personnages d’écorchés vifs (fantômes ? golems ? improbables croisements entre le végétal et l’humain ?) semblent inviter les visiteurs de l’exposition à les suivre et à tendre l’oreille : ne nous interpellent-ils pas ? Déroutant, magnifique. À voir du 30 avril au 9 octobre 2022.
* Raija Jokinen, Regard d’artiste, Locus solus/Chemins du patrimoine, 2022
Écouter Sibelius
Même les amateurs de musique ne connaissent pas forcément très bien Jean Sibelius (1865-1957), compositeur peut-être un peu passé de mode aujourd’hui. « Écouter Sibelius en Finlande, interprété par des musiciens finlandais, dans un festival d’été isolé en pleine nature, expose le visiteur au risque certain de ne pas prendre le vol du retour », écrit Éric Tanguy (né en 1968), assisté de la journaliste Nathalie Krafft. Par ailleurs lui-même musicien de haut rang et auteur de musiques de chambre et concertantes, Éric Tanguy se revendique de Radulescu, de Dutilleux et de Sibelius. Sibelius, dont toute l’œuvre est liée étroitement à son pays sans qu’il soit pour autant un compositeur « nationaliste », est souvent donné comme le chantre de la Finlande. À juste titre. Pour preuves Finlandia (1901) ou Karelia (1893), œuvres d’envergure qui font que Sibelius peut être comparé tour à tour à Beethoven et à Brahms, à Berlioz et à Tchaïkovski. « Écoutons Sibelius, ce géant universel venu de Finlande au tournant de deux siècles, ce compositeur du doute qui retravaillait ses œuvres alors qu’elles étaient déjà créées, ce créateur d’un univers à la magie singulière, ce visionnaire dont la manière à la fois intellectuelle et sensuelle de penser la musique s’adresse à nous, aujourd’hui. » Un bel essai, intelligemment argumenté et propre à nous donner envie d’écouter et de réécouter longtemps le compositeur finlandais suédophone : « Toute la musique de Sibelius m’a fait réfléchir ».
* Éric Tanguy (avec Nathalie Krafft), Écouter Sibelius, Buchet-Chastel (Musique), 2017
Légendes des Pays du nord
En Finlande, comme dans les autres Pays nordiques, à l’occasion des fêtes de Noël, des magazines offrent à leurs lecteurs des contes signés par des auteurs parfois célèbres, parfois peu connus. Les illustrations qui les accompagnent peuvent être magnifiques. Certaines, pour la Finlande, se retrouvent dans le très beau volume publié lors de l’exposition « Légendes des Pays du Nord » présentée au Palais Lumière d’Évian du 24 novembre 2018 au 17 février 2019. Les œuvres de Akseli Gallen-Kallela (1865-1931), Joseph Alanen (1885-1920), Rudolf Koivu (1890-1946) ou Martta Wendelin (1893-1986) sont données à voir au public français, peu coutumier de cette peinture. Le Kalevala de Lönrott a évidemment été source d’inspiration première et récurrente. « Si l’illustration du Kalevala est étroitement associée à Akseli Gallen-Kallela au vu de l’importance de son œuvre puisant dans le mythe, celui-ci est loin d’être le seul artiste finlandais à s’en être inspiré », observe Laura Gutman, directrice de l’exposition. Mais d’autres auteurs furent convoqués, notamment Zaccharias Topelius (1818-1898), chantre de la quête d’une identité nationale finlandaise. Päivi Ahdeoja-Määttä nous livre ensuite une rapide histoire de la littérature finlandaise pour la jeunesse dans son article « Images de l’enfance pour tous ». Les Suédoises Ellen Key (pour sa pédagogie) et Elsa Beskow sont convoquées, tandis que Tove Jansson semble se poster derrière la montagne de ses Moomin pour rajeunir les ouvrages à destination des jeunes lecteurs – et également ceux de tous âges. Agrémenté de très nombreuses illustrations à mi-chemin entre l’art naïf et l’art académique, ce beau livre, Légendes des Pays du Nord, se révèle indispensable pour tout amateur des peintres nordiques, ceux-ci trop souvent ignorés dans nos contrées.
* Légendes des Pays du nord (sous la direction de Laura Gutman, exposition au Palais Lumière/Ville d’Évian), Silvana Editoriale, 2018