Histoire
Histoire de l’Islande
« Ce livre raconte l’histoire de l’Islande en réexaminant les canons de l’histoire occidentale. À première vue, il peut sembler audacieux de considérer cette île comme un acteur majeur de la scène mondiale. » Ainsi Egill Bjarnason annonce-t-il son projet dès les premières pages de son Histoire de l’Islande. Journaliste, il va emmener le lecteur en voyage sur l’île et lui parler de son histoire comme on évoque de vieilles connaissances. Histoire de l’Islande ou plutôt Histoires. Toutes ces petites histoires qui font la grande histoire, celle, en l’occurrence, d’une île de l’Atlantique nord que les hommes ont colonisée seulement à la fin du premier millénaire. À la différence d’autres auteurs qui citent des noms et encore des noms et des dates et encore d’autres dates, Egill Bjarnason se balade librement dans le passé islandais et montre en quoi les singularités de cette nation indépendante depuis 1944 expliquent qu’elle soit aujourd’hui considérée comme l’une des plus avancées socialement. Durant son règne, le Danemark n’a pas eu envers l’Islande l’attitude colonisatrice de certains pays envers leurs dépendances, rappelle-t-il. « Le Danemark n’obligea pas les Islandais à parler danois, pas plus qu’il n’enrôla sa population dans son armée. (…) Il ne chercha pas à extraire ses ressources naturelles, et ne construisit pas Copenhague en exploitant la force de travail islandaise. (…) La population de l’île était traitée à peu près de la même façon que la danoise, et que la plupart des autres Européens d’ailleurs. » Neutralité affichée, pas d’armée... L’Islande peut faire réfléchir. Les femmes, par exemple, tiennent de nos jours la dragée haute aux hommes et la parité est atteinte dans la plupart des domaines. Le pays, comme on le sait, est aussi à la pointe du taux de lecture (et d’écriture) par habitant. « ...Le héros national islandais dont le monde entier fait l’éloge est un bibliothécaire terne et falot » relève en s’en amusant Egill Bjarnason, rappelant que le père de Arnaldur Indriðason, célèbre auteur de romans policiers, était lui-même écrivain. Isolée, dépourvue de richesses naturelles, habitée longtemps par seulement quelques dizaines de milliers de femmes et d’hommes, l’Islande est l’un des pays où il fait aujourd’hui le meilleur vivre. Sous-titré « ce petit pays qui fascine le monde », cette Histoire de l’Islande est passionnante. Puisse-t-elle faire des émules parmi les autres nations !
* Egill Bjarnason, Histoire de l’Islande (How Iceland changed the world, 2021), trad. de l’anglais Séverine Weiss, Autrement, 2021
Quatre sagas légendaires d’Islande
Les quatre textes retenus dans ce volume (Le Dit de Thorstein le Colosse-de-la-Ferme, Le Dit de Helgi Fils de Thorir, La Saga de Sturlaug l’Industrieux et La Saga d’Egil le Manchot et d’Asmund Tueur-de-Guerriers-Fauves) furent rédigés au XIIIe et au XIVe siècle. Ils font partie des textes moins connus du corpus des sagas islandaises, « dont les aventures se déroulent dans un passé lointain et un univers plus fictif que réel ». Par delà les aventures rocambolesques des multiples personnages, transparaît un imaginaire qui n’est pas sans éveiller la curiosité des lecteurs d’aujourd’hui et qui explique le succès de certains jeux vidéos. Longtemps déconsidérées, jugées distractives uniquement, voici enfin reconnues ces sagas à leur juste valeur. « Des questions d’unité structurelle ont été soulevées, mais également plus récemment des questions d’unité temporelle, d’influence, d’idéologie et de valeur historique, pour arriver finalement à un consensus sur l’hybridité du genre », écrit Ásdis R. Magnúsdóttir dans sa riche introduction. Ces sagas légendaires (en l’occurrence merveilleuses), admises au sein des autres sagas, il est temps d’observer qu’elles permirent à la population islandaise de surmonter les coups du sort, si nombreux en ces siècles soumis tant à la cruauté des hommes qu’aux extrêmes rudesses du climat. Relevons que ce volume, initialement publié en 2002, est présenté ici revu et augmenté, largement annoté, dans une version bilingue.
* Quatre sagas légendaires d’Islande, présentées, traduites et annotées par Ásdis R. Magnúsdóttir, UGA, 2022
L’Homme qui vola sa liberté
C’est à un travail généalogique passionnant et instructif que s’est livré Gísli Pálsson à propos de Hans Jonathan. Né en 1784, à Saint-Croix, dans les Caraïbes, alors sous domination danoise, Hans Jonathan est le fils d’une esclave. « Il est impossible de savoir si Emilia Regina aimait ou haïssait celui qui la féconda. Du point de vue des femmes esclaves, la reproduction n’était qu’un fardeau de plus lié à leur servitude. » L’identité de son père est inconnue, mais l’homme était blanc car Hans est métis. Quand ses propriétaires regagnent le Danemark, il a sept ou huit ans et les suit : il est un « esclave de maison ». À l’adolescence, il s’enfuit, s’engage dans la marine (en 1801, l’Angleterre attaque le Danemark, une célèbre bataille a lieu devant Copenhague, à laquelle il participe). Son courage lui vaut des louanges, mais il reste un esclave et lorsque Henrietta Cathrina, sa « propriétaire », entend le récupérer, il est arrêté, passe en procès et est condamné à retourner à Saintes-Croix pour y être vendu. Il disparaît. L’enseignant et anthropologue Gísli Pálsson (né en 1949) retrouve sa trace en Islande. « Il semble avoir été accepté par la communauté de Djúpivogur comme l’un des leurs. » Hans Jonathan devient épicier, le bras droit d’un érudit et humaniste local. À la mort de celui-ci, le voici gérant de l’épicerie. Il songe alors à se marier. Katrin lui donnera deux enfants. Il meurt en 1827, peut-être d’une attaque cérébrale, à l’âge de quarante-trois ans. Gísli Pálsson a contacté nombre de ses descendants, établis aujourd’hui tant en Islande qu’aux États-Unis ou en Europe et pour la plupart fiers de leurs racines. Il conclut son ouvrage en s’interrogeant sur « la banalité du mal », pour reprendre le titre du célèbre essai de Hannah Arendt. Établir un parallèle entre esclavage et shoah n’est pas de mise mais, à l’instar d’un Sven Lindqvist dans Exterminez toutes ces brutes et à la suite d’un certain nombre d’historiens aujourd’hui, il est possible d’affirmer que l’esclavage, par le mépris de l’être humain qu’il officialisa, rendit possible la shoah. L’Homme qui vola sa liberté est un bel hommage rendu à un individu (outre, toutes les victimes de l’esclavage) qui ne chercha jamais à nuire à ses contemporain, qui n’eut d’autre exigence, d’un bout à l’autre de sa vie, que d’acquérir sa liberté. « ...Ni l’esclavage ni la liberté ne sont nécessairement permanents ni durables : l’individu est toujours une œuvre en devenir. »
* Gísli Pálsson, L’Homme qui vola sa liberté (Odyssée d’un esclave), trad. de l’anglais Carine Chichereau, Gaïa, 2018
Histoire de l'Islande
Histoire de l’Islande : ce livre se lit vraiment comme un roman et pour ce genre d’ouvrage, ce n’est pas évident. Les deux auteurs, Michel Sallé et Æsa Sigurjónsdóttir, ont privilégié le récit chronologique, ce qui nous permet d’accompagner les divers protagonistes qui ont forgé l’histoire d’un pays longtemps épargné par les soubresauts du monde. « Traditionnellement, la colonisation est considérée comme achevée en 930, année de l’ouverture de l’Alþingi. En un demi-siècle, l’Islande, qui n’a connu ni Préhistoire ni Antiquité, entre de plain-pied dans le Moyen Âge et va développer une organisation unique en son genre qui met au service d’un individualisme farouche une vie communautaire rendue nécessaire par les conditions très particulières de l’île. » Assujettie ensuite à la Norvège, dont elle devient une colonie, l’Islande développe cependant un fonctionnement qui lui est propre : « pas de roi ou de chef suprême, pas de police, pas d’administration centrale... Pas d’armée non plus, car aucune invasion n’est à craindre. » Puis le pays devient une colonie danoise et n’obtiendra son indépendance qu’en 1944. Longtemps aligné politiquement sur des positions sociales-démocrates, à l’instar des autres pays nordiques, l’Islande a pris un tournant libéral à l’aube du XXIesiècle : « dérégulation de l’économie par l’abandon de la plupart des protections mises en place au cours du XXesiècle » et, profitant de ses importantes ressources énergétiques naturelles, « développement de la ‘grande industrie’ selon l’expression locale, essentiellement la production d’aluminium à partir d’alumine importée ». La crise bancaire affectera considérablement ce virage. Sans abondance de détails mais avec toutes les précisions nécessaires et une vision d’ensemble appropriée, Michel Sallé (docteur en études politiques et spécialiste de l’Islande) et Æsa Sigurjónsdóttir (professeure d’histoire de l’art à l’Université d’Islande) relatent cette saga dont maints artistes (citons de nos jours la chanteuse Björk ou le romancier Arnaldur Indriðason), hier comme aujourd’hui, furent les protagonistes. « Du fait de l’accroissement de leur nombre et de leur diversité, les Islandais sont à une période charnière de leur histoire. (...Ils) ont donc besoin de construire un nouveau projet collectif donnant du sens à leur communauté. » Cette Histoire de l’Islande est le livre à lire pour mieux connaître ce pays dont la mutation, les deux auteurs le confirment ici, repose sur la tradition.
* Michel Sallé & Æsa Sigurjónsdóttir, Histoire de l’Islande, des origines à nos jours (préface de Kristján Andri Stefánsson, ambassadeur d’Islande en France), Tallandier, 2018
La Révolution des casseroles
On a assez peu parlé, à vrai dire, des événements qui ont eu lieu en Islande à la suite de la crise financière de l’automne 2008. Sans doute parce que tout s’est plutôt bien passé, de manière intelligente, et que les éternels donneurs de leçons du libéralisme économique, les représentants de ce « capital qui joue aux dés notre royaume », comme le chantait Léo Ferré, n’ont pas trouvé là de quoi pavoiser. Dans La Révolution des casseroles, Jérôme Skalski, journaliste au quotidien L’Humanité, relate sous forme de chroniques la période comprise entre la naissance du « Tigre nordique » et l’apparition des « Néo-Vikings » à la crise et la « Révolution des casseroles ». Démission du Premier ministre, défection de son gouvernement, démission du directeur de la Banque centrale d’Islande… Refus de la population, suite à un référendum, de rembourser les dettes imputables aux banquiers. Jusqu’au vote d’une nouvelle constitution garantissant, dans ce pays qui a pour devise « La nation est construite sur la loi », une grande protection aux journalistes qui enquêtent sur les malversations financières. « Première dans l’histoire islandaise, une gauche armée d’ambitions réformatrices radicales, sous la pression de la société civile, arrive au pouvoir. »
* Jérôme Skalski, La Révolution des casseroles, La Contre allée, 2012