Arts
Erró Mao
Quand le peintre Erró (né en 1932, de son vrai nom Guðmundur Guðmundsson, et représentatif de la figuration narrative) s’intéresse à Mao, l’ironie est censée vernir l’œuvre. Dans ce beau livre, Erró Mao, le long voyage de Chairman Mao, chacun est à même d’apprécier la démarche à l’aune de son propre bon goût. Ironique, Erró ? Souriant et énigmatique, le visage du Grand Timonier éclaire ici des scènes diverses de la vie quotidienne chinoise ou des défilés militaires, chaque soldat brandissant le Petit livre rouge. Tout est too much, tout est kitch, et pourtant, tout fonctionne. L’art dit populaire repose parfois sur un quiproquo dont un artiste comme Erró peut se faire le chantre. Utilisant toutes les techniques artistiques en usage aux époques de sa longue carrière (il collecte et recycle des bandes dessinées, des publicités, des photographies, des affiches, des documents politiques, etc.), l’artiste les détourne pour produire une œuvre (souvent par séries) qui peut affirmer le contraire, s’il faut l’en croire, de ce qu’elle est censée montrer. Sont ainsi dénoncés les totalitarismes et les formes variées qu’ils prennent, du maoïsme au capitalisme, du consumérisme au mercantilisme.
* Erró, Erró Mao, le long voyage de Chairman Mao, préf. Stéphane Corréard, chronologie Danielle Kvaran, Cercle d’art, 2017
Erró, 2015-2018
Ce « catalogue raisonné » regroupant trois années (2015-2018) de la production picturale de l’Islandais Erró vise à montrer au public l’une des œuvres les plus vivifiantes du moment. Les expositions se succèdent pour le peintre islandais et provoquent toujours des expressions tant d’adhésion, que de rejet. Ainsi en va-t-il avec les artistes qui ne se veulent pas consensuels – c’est-à-dire les artistes. « Chroniqueur acerbe de l’actualité, Erró opère à la manière des nouveaux journalistes des années 1960, renvoyant dos à dos à l’issue d’un examen scrupuleux les goûts de la classe aisées et des couches populaires de l’Amérique profonde », relève Stéphane Corréard dans son texte d’accompagnement, « Interrógation surprise » (au sujet d’un guérillerró de l’art, pourrait-on ajouter). En effet, Erró s’empare de son époque, il en détourne les symboles, les icônes, il les déshabille et les rhabille à sa façon. Il côtoie Jean-François Millet, Dubuffet et Picasso, Fernand Léger et Gotlib (ah, ce Gotlib avec Le Cri et Guernica entre les mains !), discutant d’arrache-pied avec eux, les confrontant à leurs manques, les menant dans leurs impasses, leur suggérant d’autres voies. Sous son regard, à chaque geste est attribuée une nouvelle fonction. Le quotidien contemporain devient autre – devient art. « Rien n’est plus étranger à l’œuvre d’Erró que la raison », note encore Stéphane Corréard (qui, par ailleurs s’élève à juste titre contre la démarche essentiellement spéculative de Jeff Koons). Un livre de plus sur et de Erró, un nouveau livre forcément, tant l’œuvre de l’artiste islandais, bien que fidèle à elle-même, ne manque jamais de surprendre.
* Erró, 2015-2018 (trad. de l’anglais Rachel Zerner ; préface Stéphane Corréard), Cercle d’art, 2019
Some things
L’atelier de l’artiste islandaise Guðný Rósa Ingimarsdóttir (née en 1969) est un véritable cabinet de curiosités. Travaillant et vivant aujourd’hui à Bruxelles, l’artiste plasticienne livre dans l’ouvrage Some things le fruit de ses réflexions, sorte d’épousailles entre l’intime et l’universel, l’intérieur et l’extérieur, le perceptible immédiatement et la recherche de l’à venir. Papiers découpés, feuilles manuscrites, feuillets dactylographiés, papier carbone, photographies, coutures, objets divers, anodins : placés côte à côte ou à la suite, tous acquièrent une dimension dans laquelle surprise et émotion jouent à se répondre. « Le travail de Guðný Rósa Ingimarsdóttir nous offre un temps d’arrêt, une contemplation, une pause, dans une société à la cadence effrénée », relève Catherine Henkinet, « curatrice à l’ISELP, Bruxelles, et critique d’art », dans son introduction au catalogue de ces œuvres exposées du 23 janvier au 21 mars 2020 à l’ISELP (Institut supérieur pour l’étude du langage plastique de Bruxelles). Sans doute est-il vain de suivre pas à pas l’artiste islandaise, mieux vaut-il se laisser porter par une nonchalance créatrice qui suscitera des associations d’images empreintes, allons savoir pourquoi, d’une bruyante nostalgie assortie de « mélancolie miniature ». Objets inanimés, avez-vous une âme ? Et comment !
* Guðný Rósa Ingimarsdóttir, Some things, CFC, 2020