Histoire
Nous les appelons Vikings
« L’image du Viking belliqueux nous inspire tout à la fois un sentiment de crainte et de fascination. Ce guerrier brutal empreint d’une petite touche de fantaisie nous est en effet terriblement familier. Ses aventures – devenues des best-sellers – se prêtent idéalement aux adaptations cinématographiques ou à la production de littérature de guerre, qui n’incluent bien souvent qu’un soupçon de faits réels, additionnés d’une bonne dose de dramaturgie et d’histoires d’emprunt », rappelle Katherine Hauptman, dans son introduction au beau livre consacré à l’exposition présentée au Musée d’histoire de Nantes – exposition internationale donnée à voir pour la première fois en France : « Nous les appelons Vikings ». Coordinateur du projet éditorial, Gunnar Andersson souligne, lui, l’extrême difficulté de rassembler sous un même vocable, « Viking », et sur trois siècles, une population hétérogène. Les « Vikings » ne constituaient qu’une petite fraction de la population de la Scandinavie, pas représentative et pas forcément acceptée par l’ensemble de cette population. « Les Vikings ne formaient pas un groupe ethnique et ne peuvent pas être décrits comme une population aborigène ou indigène au sens moderne du terme. » Gunnar Andersson explique encore que « les Vikings s’identifiaient avant tout comme appartenant au clan ». Ce livre richement illustré (reproductions de pendentifs, croix, colliers, broches, clés, outils, figurines diverses) vient notamment après l’essai de l’historien Anders Winroth, Au temps des Vikings. Il complète utilement la vision que nous pouvons avoir de ces voyageurs au long cours. Les objets de la vie quotidienne sont présentés (outre les bijoux, la vaisselle : on apprend que les Vikings utilisaient de la céramique « d’importation »), les croyances explicitées (le christianisme en Scandinavie est antérieure à l’ère Viking et a longtemps cohabité avec le paganisme). Le statut des femmes (fillettes, jeunes filles, épouses...) et leurs droits sont contextualisés. La place des enfants est indiquée. Des précisions sont apportées sur les maladies dont souffraient les Vikings et, éventuellement, sur leurs remèdes, sans oublier les rites funéraires. L’origine et le pourquoi des pierres runiques sont analysés. Nous voyons les outils utilisés par une population composée avant tout d’éleveurs et d’agriculteurs. Toute la vie sociale est ainsi observée au travers d’objets retrouvés au cours des fouilles archéologiques et des textes disponibles. Un très beau livre, très original alors que ce thème, les fameux Vikings, a été si souvent traité, qui accompagne une exposition à Nantes à ne pas rater. Avec, en fin de volume, un utile avertissement (signé Petter Ljunggren et Fredrik Svanberg) : le Viking « incarne l’esprit d’aventure, la soif de découverte, une mentalité à la fois bon enfant et brutale, mais aussi un idéal masculin discutable » que les mouvements d’extrême droite, ici ou là dans le monde, jamais en peine d’approximations et de mensonges, se plaisent à brandir et à exalter. De par son iconographie et, surtout, de par la diversité de ses angles d’approche (pas uniquement l’aspect guerrier ou conquérant, donc), ce livre, Nous les appelons Vikings, est sans doute l’un des plus intéressants sur le sujet jamais publiés en France.
* Gunnar Andersson, Nous les appelons Vikings, Château des ducs de Bretagne/Musée d’histoire de Nantes/Musée historique de Suède, 2018
Les Vikings en 200 objets
Il est vrai que les livres consacrés au monde vikings sont nombreux et qu’ils regorgent souvent de photos des divers objets en usage alors, mais la plupart du temps ceux-ci figurent au sein d’un ensemble composite et en distinguer la finesse ou l’originalité n’est pas chose aisée. Ce livre, Les Vikings en 200 objets, vise donc à réparer ce manque. Divers armes et ustensiles de la vie courante ou utilisés lors des raids sont présentés, fournissant une somme de renseignements impressionnante. « ...L’attrait pour des mondes nouveaux et la quête d’une ‘réputation’ font sûrement partie des motivations des raids, et les objets en métal précieux ont un rôle particulier dans la société scandinave. » Utilité et esthétique (le fameux design nordique avant la lettre ?) vont de pair. Épées, pointes pour fourreaux, plateau de jeu, cloche, heaume, harnais, cadenas, fer de lance orné, coupe en argent, amulette, épingles, ciseaux, allume-feux, bougie, hache, colliers, chaussette tricotée... Autant d’objets répertoriés (description, datation approximative, lieu de découverte, usage...) qui permettent de suivre et de comprendre la population viking non seulement lors de ses expéditions en Europe et ailleurs dans le monde, mais aussi sur place, en Suède, en Norvège ou au Danemark, dans sa vie quotidienne. Ce livre est donc beaucoup plus intéressant qu’il peut le sembler de prime abord. Ce n’est pas qu’un ouvrage supplémentaire sur les Vikings. Il apporte véritablement un regard plus aiguisé sur une société dont la modernité fit sa force et qui a laissé parmi nous tant de traces.
* Steve Ashby et Alison Leonard, Les Vikings en 200 objets (Vikings, 2018), trad. de l’anglais Anne Pernot, Ouest-France, 2019
Histoire des Vikings
Professeur d’histoire médiévale à l’université de Caen, Pierre Bauduin (né en 1964) s’est d’abord intéressé à l’histoire de la Normandie avant, nous dit-il en préface de son Histoire des Vikings, remontant le temps et élargissant l’espace, d’observer la civilisation des Vikings. Bien lui en a pris car il offre avec ce livre une somme sur le sujet comprenant nombre d’informations peu reprises ailleurs et surtout un angle d’approche particulièrement intéressant. On apprend ainsi, par exemple, que les puissants n’hésitèrent pas à sacrifier les manants qui s’étaient levés contre l’envahisseur venu du Nord, de crainte de les voir se liguer contre eux par la suite : leurs associations « furent considérées comme une menace à l’ordre social et réprimées par les grands ». La victoire devait être attribué aux seigneurs, pas au petit peuple. Pierre Bauduin rappelle également que, beaucoup plus tard, « les vikings furent mis au service de la cause nazie, en veine d’une respectabilité qu’elle chercha auprès d’universitaires reconnus ». « De la supériorité au surhomme, comme élément justifiant une domination et une hiérarchie des groupes humains, il n’y a qu’un pas que franchirent des auteurs qui enrôlèrent les vikings au service de théories extrêmes. » Faisant œuvre d’historiographe conséquent, Pierre Bauduin s’efforce donc de replacer « le temps des vikings » dans son contexte, le relativisant, de fait, l’affinant, le précisant. Il parvient ainsi à parler des Vikings de façon inédite : cultes, culture, vie quotidienne sont ici traités. Guerriers et commerçants voyageurs, les Vikings n’ont pas seulement pillé les sociétés qu’ils rencontraient ; ils leur ont aussi insufflé un nouveau développement, dont de multiples traces perdurent encore. D’une grande érudition, ce livre est littéralement passionnant.
* Pierre Bauduin, Histoire des Vikings, Tallandier, 2019
Les Vikings, aux origines de la Normandie
Bâtie sur les quais de la Seine et sur plus de 1 000 m2, la Cité immersive Viking de Rouen raconte le parcours des Normands qui se sont associés en 911 avec l’empereur des Francs, fondant ainsi la Normandie. La revue Beaux Arts lui consacre un numéro. « Puissions-nous faire comprendre à tous les enfants du monde que l’esprit viking leur appartient, à la condition qu’ils s’en saisissent », écrit avec enthousiasme Jean Vergès, président de Cités immersives, dans sa préface et paraphrasant André Malraux. Ce beau volume entreprend de présenter les Vikings : « Qui sont les Vikings ? » (Gaia Perreaut), « Des hommes libres pratiquant l’esclavage » (Claude Pommereau), « Yggdrasil, charpente des Neufs mondes » (Dominique de La Tour), « La bonne gouvernance de la Normandie médiévale » (François Neveu), etc. Les jeunes lecteurs et visiteurs apprendront aussi « comment construire un landskip » (invention de journalistes au XIXe siècle, le mot drakkar est délaissé, tant mieux). À lire, donc, avant ou après la visite.
* Beaux arts, Les Vikings, aux origines de la Normandie, 2024
Vikings, dragons des mers du Nord
Consacré aux Vikings, dragons des mers du Nord, ce numéro de la revue Beaux arts reflète l’exposition, du 14 avril au 10 octobre 2022, que propose, à Pointe-à-Callière, la Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal. Divers aspects de la vie quotidienne des commerçants et guerriers scandinaves sont présentés ici, au travers de quatre thèmes principaux : « le récit des origines », « le récit du voyage », « le récit de la vie » et « le récit de la fin des temps », avec des sous-thèmes : la poésie viking (« loin d’être primitive, elle évoque des images et comporte de nombreuses métaphores ingénieuses »), la place des femmes (« plus avantagées que la plupart des Européennes à cette époque ») ou encore, évidemment, « le Vinland et l’Anse aux Meadows »... Plutôt malin, ce choix permet de couvrir, sur trois siècles, l’ensemble du quotidien des Vikings, dont les voyages les ont menés, des recherches l’attestent aujourd’hui, jusqu’en Amérique du Nord. Relevons la qualité des illustrations : gravures du XIXe siècle ou images très contemporaines tirées de jeux vidéo... Un riche numéro de Beaux arts, qui comblera les amateurs de mythologie nordique.
* Beaux arts, Vikings, dragons des mers du Nord, 2022
L’Histoire des Vikings comme si vous y étiez !
Ce n’est pas une mauvaise idée, que de placer le lecteur dans la peau d’un ancien scandinave pour imaginer l’épopée des habitants du Nord de l’Europe à travers une bonne partie du monde, des âges les plus reculés à la période qui a succédé à l’ère viking, puis jusqu’à aujourd’hui. Vincent Boqueho (né en 1979) avait déjà procédé ainsi pour parler de L’Histoire de France et de L’Histoire de l’Égypte comme si vous y étiez ! Professeur agrégé de sciences physiques au lycée international de Valbonne sur la technopole de Sophia Antipolis près de Nice, auteur de « cartes animées » pour le site herodote.net, il met en scène dans ce livre, L’Histoire des Vikings comme si vous y étiez ! des personnages plus vrais que nature, et ce, de génération en génération. « ...La Nature a conservé le patrimoine génétique et culturel des individus les plus forts et les plus querelleurs, jusqu’à accoucher d’une nouvelle espèce à part entière, le Viking. Vous êtes un pur produit du darwinisme. » Vous êtes un enfant, une femme au foyer, un guerrier, un marchand... La technique fonctionne : bientôt, on glisse aisément ses pas dans ceux des Vikings et leur monde nous apparaît soudainement dans sa complexité. À leur place, quel choix, si nous l’avions eu, aurions-nous fait ? Serions-nous restés sur place, au Jutland ou sur l’île de Gotland, profiter des terres cultivables maintenant que beaucoup d’hommes étaient partis combattre au sud ? Aurions-nous commercé pendant les temps de relative paix ? Ou embarqué sur des « drakkars » (terme impropre car inventé tardivement, mais que l’auteur utilise) pour coloniser jusqu’aux terres américaines et africaines ? « La Scandinavie est déjà en train de se découper en trois grandes parties qui vont se maintenir jusqu’à l’époque moderne : aux Suédois les grands espaces de la Russie, aux Danois les richesses de l’Occident, et aux Norvégiens les îles du nord qui ne demandent qu’à être colonisées ! » Voici le parti pris plutôt sagace des personnages de Vincent Boqueho : vivre et laisser vivre et parfois... mourir. Ou encore, s’adapter – comme lors de leur conversion au christianisme. « En tant que marchands avides de stabilité, vous faites partie de ces pacifistes convaincus. » Enfin, jusqu’à l’époque contemporaine et les menaces bellicistes de la Russie. Un bon ouvrage de vulgarisation.
* Vincent Boqueho, L’Histoire des Vikings comme si vous y étiez !, Armand Colin, 2022
Histoire des pays nordiques, XIXe-XXIe siècle
Les pays dits nordiques (Norden en suédois) sont au nombre de cinq : Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède. Il y a « une certaine forme de gageure à vouloir analyser leur histoire contemporaine en les envisageant comme un tout cohérent », préviennent d’emblée Maurice Carrez et Jean-Marc Olivier (tous deux agrégés d’histoire et fondateurs de la Revue d’histoire nordique), les auteurs de cette remarquable étude, Histoire des pays nordiques. Une gageure, en effet, que cette Histoire relève, fournissant un précieux outil pour qui cherche à en savoir plus sur une région du monde si singulière. Six périodes sont cernées : 1800-1864, 1865-1918, 1919-1939, 1939-1949, 1950-1980 et enfin de 1980 à aujourd’hui. Les deux auteurs semblent à l’occasion oublier leur statut d’universitaires pour exprimer leurs propres points de vue et nous ne saurions le leur reprocher, tant ceux-ci sont argumentés et pertinents. Remontant à la fin du XVIIIe siècle, ils observent que des églises dissidentes se développent alors dans les pays nordiques, suscitant l’opprobre des puissants : « Les fonctionnaires et les pasteurs sont d’autant plus inquiets que ces mouvements religieux se font parfois les défenseurs d’une économie d’entraide libérée de la tutelle des puissants. » La conversion au luthéranisme de cette région du monde, puis l’apparition de maints mouvements religieux en désaccord avec les doctrines officielles expliquent bien des événements postérieurs, dont les vagues d’émigration vers les États-Unis. Les mentalités nordiques puisent là nombre de leurs lignes directrices, à commencer par cette fameuse et fictive « loi de Jante ». Les pays nordiques ont longtemps été des pays pauvres. Encore au milieu du XIXe siècle, alors que le reste de l’Europe s’industrialise et voit les conditions de vie progresser pour l’ensemble de sa population, ici « le PNB par habitant est plutôt dans la moyenne basse du continent, en particulier pour la Finlande ou la Norvège ». Mais dès la fin du XIXe siècle le retard est rattrapé, la Suède et le Danemark deviennent des pays parsemés d’usines, notamment autour de l’industrie du bois et de la pêche, avec une population de plus en plus urbaine. Norvège et Finlande suivent, imités par l’Islande. Les régimes politiques s’ouvrent. Le niveau scolaire augmente, et ce, pour toutes les classes sociales et d’une manière générale dans les cinq pays. « En 1914, les pays du Nord ont des pourcentages d’étudiants par classe d’âge parmi les plus hauts du monde. » Petit à petit, des droits sociaux et politiques sont accordés à tous, notamment aux plus pauvres et, là encore, plus tôt qu’ailleurs dans le monde, aux femmes. L’Histoire des pays nordiques se poursuit jusqu’à aujourd’hui, mentionnant notamment l’entrée de la Finlande et celle, probable, de la Suède dans l’OTAN. « Le fait de s’aligner davantage sur les positions européennes et atlantiques n’empêche pas les pays du Norden de conserver une relative originalité au sein du monde occidental pour des raisons qui tiennent tant à leur position géographique qu’à certaines orientations antérieures de leurs politiques étrangères. » Mais pour combien de temps encore ? Avec une belle érudition, Maurice Carrez et Jean-Marc Olivier avancent de façon méthodique, balayant chaque époque et chaque pays et montrant combien leurs destins sont liés. Il va sans dire qu’il s’agit du livre universitaire historique de référence pour cette région du monde.
* Maurice Carrez/Jean-Marc Olivier, Histoire des pays nordiques, XIXe-XXIe siècle, Armand Colin (Collection U Histoire), 2023
La Fin du monde viking
* Stéphane Coviaux, La Fin du monde viking, Passés/Composés, 2019
Revue Deshima n°15
Le numéro 15 de la revue Deshima, sous-titrée « arts, lettres et cultures des Pays du nord », s’interroge sur « la réception des mythes nordiques en France ». Une nouvelle livraison passionnante pour cette revue qui entend ici faire la part des choses. Les mythes nordiques sont recensés et présentés dans les différents domaines où ils apparaissent. Un premier article en anglais (comme plusieurs des articles de cette revue) de Thomas Mohnike et Pierre-Brice Stahl entend retracer le phénomène au cours des âges, sous ses « multiples facettes », comme, aujourd’hui, avec les héros de manga et ceux de bandes dessinées (Hagar Dunor, Thorgal, Astérix...). Ou encore la musique, par exemple, avec un bel article de Virginie Adam sur Wagner et « Sigurd. Débats autour d’un mythe nordique », avant une réflexion, par Francesco Sangriso, sur l’œuvre de Charles Leconte de Lisle sous ce même angle. Plus loin, ce sera l’analyse d’un cliché, « La noirceur, un signe de l’imaginaire du Nord », par Daniel Chartier. Dans le très intéressant article « Winter is Medieval », Alban Gautier, Alexis Wilkin, Odile Parsis-Barubé et Alain Dierkens s’interrogent sur les « représentations modernes et contemporaines des Nords médiévaux » : « ...L’idée que la culture de langue française s’est faite des ‘hommes du Nord’ (…) est très souvent passée par un regard porté sur les croyances et les mythes que la Scandinavie et l’Islande médiévales nous ont transmis », ajoutant que c’est tout l’Occident qui possède cette vision. Vision stéréotypée et éloignée de la réalité, toujours colportée, notamment dans les produits de grande consommation : « ...Nous sommes les meilleurs, les plus forts, les plus engagés, nous sommes les vikings d’aujourd’hui. (…) Les vikings (ou plutôt les clichés sur les vikings) peuvent inspirer un ouvrage de marketing, proclamer l’efficacité d’un serrurier, figurer sur un paquet de céréales ou fournir l’iconographie d’un jeu à gratter. » Des courants politiques marqués à droite et surtout à son extrême se sont également emparés du mythe viking, ne retenant que ce qui pouvait servir leur cause, au détriment de la vérité historique. Il est utilement rappelé ici l’abus tant sémantique qu’idéologique que cela constitue. Ajoutons un article de Andreas Klein sur la perception du peuple sami dans la culture européenne des 17e et 18e siècles. Ce numéro de Deshima ne saurait évidemment cerner la question de la « réception des mythes nordiques en France », livres, films, musique metal et jeux vidéos confondus, mais il s’agit là d’une très bonne approche.
* Deshima n°15, « La réception des mythes nordiques en France », 2021
Les Femmes vikings, des femmes puissantes
Les femmes vikings n’étaient pas les simples accompagnatrices de leurs baroudeurs de maris. Si la gestion du foyer familial reposait souvent sur leurs épaules, elles assuraient également des rôles aujourd’hui perçus comme masculins – de pouvoir. « Les sagas nous parlent d’héroïnes fières et farouches qui poussent les hommes à assassiner leurs amis ou leurs proches et déclenchent ou perpétuent des querelles meurtrières qui déchirent des familles entières », prévient Jóhanna Katrín Friðriksdóttir dans l’ouvrage qu’elle leur consacre, Les Femmes vikings, des femmes puissantes. Mais elles ne se cantonnaient heureusement pas à caricaturer les mâles. « D’autres sont des incarnations de la sagesse et de la modération. » Dans cet ouvrage fourmillant de références aux sagas et de détails relatifs à la vie quotidienne, les divers rôles des femmes sont présentés. « Épouse, cheffe, voyageuse, mère, chrétienne... », pour l’une d’entre elles, au centre de la Saga d’Erik le rouge, par exemple. La place de l’enfant dans la société viking est aussi longuement explicitée, ainsi que celle des veuves et des femmes âgées. Docteure en littérature médiévale, spécialiste des textes et civilisations nordiques et des questions de genres, comme nous l’apprend la quatrième de couverture, Jóhanna Katrín Friðriksdóttir livre là un ouvrage capital sur une société étudiée de long en large mais, jusqu’à présent, essentiellement sous l’angle masculin. Pourtant, « les sagas et la poésie héroïque célèbrent fréquemment la sagesse des femmes et leurs conseils avisés, et les personnages féminins y sont réputés pour leur audace et leur ardeur à protéger leur honneur et celui de leur famille, pour le meilleur et pour le pire. » Les femmes jouaient donc un rôle primordial dans la société viking, le statut social importait plus que le genre, ce qu’attestent les sagas. Aurait-ce été oublié au fil du temps ?
* Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, Les Femmes vikings, des femmes puissantes (Valkyries : Women of the Viking world, 2020), trad. de l’ang. Laurent Cantagrel, Autrement, 2020
La Mythologie viking
Scénariste de bande dessinée, auteur de nouvelles et de romans fantastiques, Neil Gaiman (né en 1960) s’est attaché, dans La Mythologie nordique, à présenter ce qui constitue la source de son inspiration, ce monde du début du monde, quand Odin, Thor et consorts posaient leur regard sur toute chose et leur donnaient un sens, s’il faut en croire l’introduction de ce livre : « Il est aussi difficile de désigner son cycle de mythes préféré que de choisir son type de cuisine favori (…). Mais si je devais indiquer ma préférence, elle irait sans doute aux mythes nordiques. » C’est en quelque sorte une « mythologie nordique pour débutants » que Neil Gaiman livre là et pour des lecteurs peu au fait de cette part importante de la culture des Pays du Nord, cet ouvrage peut servir de base.
* Neil Gaiman, La Mythologie viking (Norse mythology, 2017), trad. de l’anglais Patrick Marcel, Au diable vauvert, 2017
Vikings et Normands
Encore un livre sur les Vikings, en cette fin d’année 2022 ! Signé Arnaud Lestremau et Marie-Luce Septsault, celui-ci, Vikings et Normands, sous-titré du milieu du IXe siècle à 1066, est, de par la collection dans laquelle il s’intègre, destiné aux étudiants. Quelque peu à la façon d’un « Que sais-je ? », il s’efforce de faire le point sur un domaine de connaissances. Bien construit, l’ouvrage débute par une longue introduction destinée à nous présenter la figure du Viking : « chaque société voit dans (ces) marchands-guerriers ce qu’elle veut y voir, soit comme contre-exemple et repoussoir aux valeurs cultivées en son sein, soit comme illustration d’aspirations différentes ». Ensuite, la partie « Repères » montre la place des Vikings dans l’Europe carolingienne, l’Angleterre anglo-saxonne et les îles britanniques, replaçant la succession d’événements dans leur époque. « ...La violence des vikings ne doit pas être exagérée ou mythifiée, mais il est nécessaire de la replacer dans le contexte d’une société médiévale marquée dans son ensemble par le fait guerrier. » Enfin, le sujet est traité par thèmes (expansion, économie, etc.), en tenant compte des nombreux et récents travaux scientifiques sur la civilisation viking. Des « outils » sont à disposition du lecteur : cartes, présentation des « personnages » masculins et féminins, chronologie. Sans plus de majuscule au mot « viking » car « le phénomène viking ne relève pas du paradigme de l’ethnicité, mais (…) renvoie à un ensemble d’activités. (…) Les armées vikings sont composites, incluant des Scandinaves, mais aussi des Frisons, des Francs, des Anglo-saxons ou des Irlandais. » Didactique, synthétique, précis et riche d’exemples puisés dans les plus récentes recherches, ce livre de Arnaud Lestremau et Marie-Luce Septsault offre plutôt une très bonne approche d’un monde qui n’en finit pas de se mêler au nôtre.
* Arnaud Lestremau & Marie-Luce Septsault, Vikings et Normands, du milieu du IXe siècle à 1066, Atlande (Clefs concours/Histoire médiévale), 2022
Le Monde viking
Sous-titré « portraits de femmes et d’hommes de l’ancienne Scandinavie », ce troisième livre de Lucie Malbos, Le Monde viking, nous entraîne de nouveau dans un univers qui ne cesse de faire parler de lui. Précisant que son livre n’est pas une énième « histoire des vikings », l’auteure aborde son observation d’un monde beaucoup plus éclectique qu’il ne le paraît par le petit bout de la lorgnette. « Tous les vikings n’étaient pas d’origine scandinave », rappelle-t-elle, « et inversement tous les anciens Scandinaves n’étaient pas des vikings. En somme, on ne naît pas viking : on le devient par ses actions ; et pour cela, point n’est besoin d’être né sur le sol scandinave. » L’historienne fait un choix de figures qu’elle présente en fonction des éléments dont elle dispose, parfois nombreux, d’autres fois rares ou sujets à caution, « toute exhaustivité étant totalement exclue ». La fiabilité des sources pose toujours problème et doit impérativement être prise en compte (« le point de vue sur les événements est largement chrétien »). Elle fait un sort à des légendes tenaces – il en court tant sur le compte des Vikings, ces diables faits hommes. Ainsi, ils ne buvaient pas dans le crâne de leurs ennemis, même pour fêter une victoire, mais plutôt « dans les cornes poussant sur le crâne de certains animaux », « alors utilisées comme récipients ». La violence, incontestable, n’était pas leur apanage, les chrétiens pouvaient sans souci rivaliser sur ce point. Sur sa lancée, elle précise que le mot « viking » s’écrit avec une minuscule : « pas de majuscule à des noms communs tels que ‘pirate’, ‘aventurier’ ou ‘marchand’ ; pas de majuscule non plus à ‘viking’, qui est un peu tout cela à la fois. » Son objectif ? Montrer « la diversité des identités (féminines, masculines, enfantines, serviles...) » afin d’attester de la diversité « des enfants de l’époque ‘viking’ », laquelle compte plusieurs âges s’étendant sur près de trois siècles et concerne une vaste région septentrionale de l’Europe. Maints extraits de ce livre seraient à citer, tant l’érudition de l’auteure est grande et chamboule la vision trop répandue du viking guerrier assoiffé de sang. Après son portrait de Harald à la dent bleue, viking roi chrétien, Lucie Malbos continue à donner une image plus nuancée, plus juste du monde viking que celle qui a cours au cinéma ou aujourd’hui dans les jeux vidéos. Très intéressant.
* Lucie Malbos, Le Monde viking, Tallandier, 2022
Les Vikings
« À partir de la fin du XXe siècle, la figure du Viking se répand dans le monde à travers des musiques et des productions parfois issues de pays n’ayant pourtant aucune relation historique avec les hommes du Nord ». Ainsi commence ce livre, Les Vikings, publié par un ensemble de rédacteurs œuvrant sur Nota bene, chaîne YouTube consacrée à la vulgarisation de l’histoire. L’objectif ici est de recenser les multiples apparitions de cette civilisation dans notre monde contemporain. Et elles ne manquent pas. « À travers les séries, le cinéma, les BD ou encore le jeu vidéo, la pop culture s’est emparé de ce ‘barbare’ bien pratique pour raconter des histoires à grand spectacle. Grand, fort, sûr de lui et maniant la hache comme personne au Moyen Âge, le viking serait l’archétype du guerrier idéal. » Onze plumes (dont Lucie Malbos, William Blanc, Benjamin Brillaud, etc.) se penchent sur le phénomène, sa signification aujourd’hui et ses répercussions. Des articles riches en informations diverses permettent de plonger dans la vie « au temps des Vikings » (l’habitat, l’hygiène et l’habillement, l’alimentation, les loisirs, etc.), de saisir « la mythologie nordique », de faire connaissance avec quelques Vikings célèbres grâce à de savoureux portraits et enfin de réfléchir à « l’héritage viking » présent dans tous les domaines aujourd’hui, notamment la culture et les loisirs. Car, comme l’écrit l’historien Bruno Dumézil, « avant de devenir un mythe, les vikings ont eu une histoire longue de près de trois siècles. De Kiev à Dublin, de la mer Égée aux confins de l’Amérique, ils ont changé la face du monde ». On ne saurait le nier, sans pour autant cautionner « le Nord mythique repris par les mondes de fantasy (qui) représente pour certains un endroit imaginaire où l’on peut exprimer ses pulsions d’hypermasculinité », comme le relève William Blanc. En effet, « incarner un viking dans un jeu permet à un moment de se rêver comme un guerrier puissant, bodybuildé, barbé et poilu, prouvant sa virilité en ingurgitant des litres de bière et d’immenses quantité de viande. » Mais non, les Vikings, commerçants et guerriers, ne cultivaient pas des valeurs précocement d’extrême droite, loin de là ! Ce fort beau livre, densément illustré, permet de mieux comprendre pourquoi ce prétendu « guerrier » n’en finit pas de fasciner, en dépit de toutes les erreurs colportées plus ou moins sciemment à son sujet.
* Nota bene, Les Vikings, Link Digital Spirit, 2022
Runes et magie
Sous-titré « Histoire et Pratique des Anciennes Traditions Runiques », ce livre est une réédition du volume publié en 1995. Présenté comme « un des principaux chercheurs en matière de runologie et de cosmologie traditionnelle du Nord », « biologiste marin, chercheur, artiste », l’auteur (né en 1946) entend nous faire découvrir ici le langage écrit des premiers hommes du Nord. On sait ou on sait moins l’origine des runes et leur signification. « D’après l’astrologie runique, nous vivons au commencement de l’ère de Peorth, la rune des opportunités créatrices. Cela nous offre de nouvelles opportunités qui nous aident à adopter un mode de vie holiste, affirmant pleinement la vie, combinant plénitude personnelle et bien-être de la Planète Terre », écrit Nigel Pennick en introduction. Cela fleure bon les philosophies new âge, mêlant éléments historiques incontestables et interprétation douteuse, faisant la part belle aux pseudo-sciences occultes et à la magie. Ce livre va pourtant bien au-delà, et ce côté mis à part (« La magie runique nous procure un moyen de tourner les choses à notre avantage et, dans l’esprit de service qui nous anime, à l’avantage de nos semblables, les humains. »), il se révèle un excellent outil de compréhension d’une culture ancienne et toujours de référence. Le chapitre « magie des arbres et du bois » montre ainsi comment les espèces des contrées boréales (dont nombre poussent en France) étaient associées, de par leurs pouvoirs supposés, à la vie quotidienne des utilisateurs de runes.
* Nigel Pennick, Runes et magie (trad. de l’ang. ? et annoté par Anne-Laure et Arnaud d’Apremnt), L’Originel (Yggdrasill - Tradition nordique), 2021
La Normandie des Vikings
Dans ce nouvel ouvrage de Jean Renaud, La Normandie des Vikings (réédition du volume de 2006), c’est une aventure humaine qui nous est contée : le peuplement d’une partie du royaume franc par des guerriers et commerçants venus des terres septentrionales de l’Europe. En 911, las des combats qui déciment les territoires de l’ouest, au nord et au sud de l’embouchure de ce grand fleuve qu’est la Seine, Charles le Simple, roi des Francs, les cède au chef viking Hrólfr, qui se fera appeler Rollon. Un traité est conclu à Saint-Clair-sur-Ept, signant la naissance de la Normandie, le pays des hommes du Nord. « ...Les Scandinaves n’étaient pas des ‘barbares’. À la fois paysans, marins, commerçants et guerriers, mais toujours des hommes libres, ils appartenaient à des nations en train de se forger : le Danemark, la Norvège et la Suède. Leur société, fondée sur la famille et la propriété héréditaire, vivait essentiellement de l’agriculture, tout en misant sur une activité économique favorisée par un essor maritime remarquable. » L’érudition de Jean Renaud est au service de l’histoire de ce qui deviendra l’une des provinces françaises, riche de savoirs nouveaux liés notamment à la construction navale et à la navigation. Comme à son habitude, il agrémente ses propos de nombreux documents iconographiques : carte des « noms de lieux scandinaves du Bessin au Pays d’Auge », par exemple, plan de Paris en 885 avec l’« emplacement supposé du camp viking », cartes postales de tel événement – « inauguration, en juillet 1912, de la seconde copie de la statue de Rollon, offerte à la ville de Fargo (Dakota du Nord) » – ou photographies multiples (chapelle Saint-Germain de Querqueville, église Saint-Pierre de Jumièges, etc.). Les précisions de caractère historique et scientifique se succèdent et pourtant la lecture est aussi agréable qu’une randonnée le long d’un chemin de douaniers entre deux caps. Le résultat est un beau livre, savant et donnant à voir l’implantation viking au fil du temps dans cette région.
* Jean Renaud, La Normandie des Vikings, Orep, 2023
Les Vikings en France
Il y a mille raisons de se plonger dans ce petit volume de Jean Renaud : Les Vikings en France constitue une excellente synthèse sur l’implantation des fameux guerriers venus du Nord sur l’ensemble du territoire français ; cette réédition est, à vrai dire, beaucoup plus qu’une synthèse, elle est relativement complète, en dépit de ses seulement 120 pages ; pour ceux qui tiennent à en savoir plus, Jean Renaud propose des approches par thèmes (Les Vikings à la conquête du monde celtique ou Les Vikings, des premiers raids à la création du duché de Normandie, par exemple) ; ce volume est richement illustré : cartes montrant l’implantation et l’expansion des Vikings sur l’ensemble de la France, reproduction de tableaux (une riche iconographie existe sur le sujet), photographies d’objets, de monuments, ou de lieux, tels qu’ils se présentent à nous aujourd’hui… « Les Vikings ont joué dans l’histoire de France un rôle qu’on aurait tort de sous-estimer : déstabilisateur à bien des égards, certes, quand on considère la succession de ‘coups de main’, de batailles et de pillages ; mais néanmoins extrêmement stimulant, d’autant que la confrontation entre les Scandinaves et les Francs passent aussi par des phases où ils tentent de s’entendre, à défaut de se comprendre. »
* Jean Renaud, Les Vikings en France, Ouest-France, 2017
Les Dieux des Vikings
Les ouvrages que Jean Renaud consacrent aux Vikings ne cessent d’étonner : en dépit de leur somme d’érudition, ils se lisent toujours comme des romans d’aventures - ou presque. Pour preuve, ce dernier titre : Les Dieux des Vikings. L’auteur s’emploie là à nous présenter tour à tour Odin (Óðinn), Thor (Þórr), Freyja et quelques autres divinités auxquelles les Vikings rendaient hommage, avant de se laisser christianiser. « Pour présenter les dieux des Vikings, nous nous efforcerons, dans un premier temps, de ‘raconter’ les mythes scandinaves qui les mettent en scène, puis, dans un second temps, de décrire les pratiques religieuses dont ils faisaient l’objet. » Si noms et références se succèdent, le lecteur est pourtant emporté par la prose de Jean Renaud et entre bien volontiers dans un monde où les dieux les plus irritables balisaient chaque heure de la vie des guerriers pour une « bataille sans cesse renouvelée ».
* Jean Renaud, Les Dieux des Vikings, Ouest France, 2018
Les Vikings
Jean Renaud (né en 1947) n’en est pas à son coup d’essai, et pourtant il parvient à nous parler des Vikings, leur histoire et leur culture, à chaque fois avec une approche nouvelle. Ainsi, dans ce livre, Les Vikings, qui prend place dans la collection « Vérité et légendes » des éditions Perrin, il s’intéresse plus particulièrement à leur image dans notre monde contemporain. « ...Avec leurs ‘drakkars’ et leurs casques à cornes, (les Vikings) font aujourd’hui partie intégrante du domaine publicitaire et touristique normand ! » En une trentaine de chapitres, répondant à autant de questions, à partir de citations de textes historiques classiques (avec des incursions comme Astérix et les Normands !), il s’évertue à rétablir quelques vérités et à écorner quelques légendes : « Connaît-on l’origine du mot ‘viking’ ? », « Les Vikings naviguent-ils sur des drakkars ? », « L’Islande est-elle redevable aux Vikings ? », « Les Vikings découvrent-ils l’Amérique ? », « La femme viking est-elle l’égale de l’homme ? », La langue des Vikings a-t-elle déteint sur le français ? », etc., jusqu’à « Les Vikings ont-ils investi la littérature française ? » (oui, mais peu et de manière anecdotique)... Une synthèse sur la question viking, un livre de référence.
* Jean Renaud, Les Vikings, Perrin (Vérités et légendes), 2019
Le Grand atlas de la mythologie nordique
Ce sujet, la Mythologie nordique, a certes été maintes fois rebattu, il n’en demeure que cet ouvrage de Jean-Baptiste Rendu, un beau livre, en fait très intelligemment le tour. Richement illustré, d’une constante érudition, il s’agit là d’un ouvrage de synthèse. « La cosmogonie nordique est probablement l’une des plus riche de toute la littérature mondiale. Profondément imprégnée de la présence des éléments naturels, elle fait de la gigantesque collision entre le chaud et le froid l’événement fondateur de la création du monde. » Ainsi commence ce livre, entrant directement dans le vif du sujet et le traitant par grands thèmes : « Les mythes fondateurs », « les Ases », « les Vanes et autres divinités », « créatures et animaux fabuleux », « Thor et Oðin » et enfin « le Ragnarök, un récit apocalyptique » – avec évidemment une mention sur les runes, dont les dieux sont censés être à l’origine. Ces chapitres clairement définis et agencés dans un ordre logique, se terminant donc par « la guerre de la fin du monde », permettent de mieux comprendre l’ampleur et l’inscription des croyances dans les populations des pays nordiques. Et ce, de l’époque Viking à aujourd’hui, ou quasiment, tant les mythes perdurent malgré la conversion lointaine de ces régions du monde au christianisme (vers l’an 1000). Les dieux et leur progéniture déterminent le destin des habitants de ces contrées peu hospitalières, les combats se succèdent, les runes qui parsèment la Scandinavie en témoignent toujours. « On pourrait multiplier les exemples de ces monstres qui abondent dans les textes anciens, révélateurs d’une représentation du monde où l’homme est sans cesse exposé au spectacle de l’effrayant, de l’inattendu, du démesuré et du merveilleux. » Soulignons la qualité des illustrations, certaines évidemment connues de longue date (signées Gustave Doré, Nils Blommér, John Bauer ou Louis Moe), et d’autres très rarement présentées (celles représentant les « draugar » par exemple, ces sortes de morts-vivants), et la créativité de la mise en page. Un bien bel ouvrage, une somme en quelque sorte.
* Jean-Baptiste Rendu, Le Grand atlas de la mythologie nordique (introduction François Emion), Glénat/Le Monde, 2023
Les Vikings à l’assaut de la Bretagne
Si l’on connaît l’épopée des Vikings en Europe occidentale et notamment en Normandie, on sait finalement peu de choses de leur passage en Bretagne. Peut-être parce que, contrairement à la Normandie, ils n’ont pas trouvé là terre où s’installer, faute sans doute de chef charismatique, à l’image de Rollon. Pourtant, ils ont mis pied sur la presqu’île armoricaine, « profitant des querelles intestines bretonnes et de la faiblesse des autorités franques », rappelle Élisabeth Ridel-Granger dans un petit ouvrage : Les Vikings à l’assaut de la Bretagne. Une présence qui a duré moins longtemps qu’ailleurs, que la typologie n’a guère retenue, et dont seules quelques traces subsistent aujourd’hui (sur les îles de Groix, de Batz, etc.). Un excellent titre, qui plus est richement illustré, pour découvrir en quelques pages, de manière synthétique, l’influence des guerriers et commerçants du Nord dans cette région.
* Élisabeth Ridel-Granger, Les Vikings à l’assaut de la Bretagne, Château des ducs de Bretagne (Les indispensables), 2018
Joe Hill. Bread, roses and songs
Le centenaire de la mort de Joe Hill, en 2015, a vu la ville de Gävle, au nord de Stockholm, lui consacrer une belle exposition. Signalons également la réédition augmentée de la biographie de Franklin Rosemont, Joe Hill. Bread, roses ans songs (première édition française en 2008). Né en 1879 à Gävle, Joel Emmanuel Hägglund, dit Joe Hill après son arrivée aux États-Unis, affirmera simplement être « né sur une planète appelée Terre ». Un citoyen du monde, autrement dit, ce prolétaire, qui bientôt n’aura cesse de défendre la cause de ses semblables. Bourlinguant d’une ville à l’autre de l’Amérique du Nord et de l’Amérique Centrale, militant du combattif syndicat IWW (Industrial Workers of the World, assez semblable à la CGT des tout débuts), il créera de nombreuses chansons, reprises jusqu’à aujourd’hui par des artistes comme Joan Baez. Bo Widerberg en fera le personnage central d’un film primé à Cannes en 1971. « Dans l’imagination populaire », écrit Franklin Rosemont, Joe Hill « représente toujours l’immigré maltraité, le pauvre sans abri, le hobo errant, le travailleur qui ose résister à la tyrannie, le non-conformiste courageux, le marginal persécuté, le prisonnier politique, le wage-slave (l’‘esclave salarié’) en révolte contre la classe des maîtres, la victime d’un coup monté injustement condamné et envoyé à la mort et, de ce fait, un martyr de la cause ouvrière. » Lié, dans l’Après-guerre, aux surréalistes et aux situationnistes, éditeur et spécialiste du mouvement ouvrier, Franklin Rosemont (1943-2009) livre ici une biographie partisane, voire militante – mais comment pourrait-il en être autrement avec un Joe Hill comme fabuleux sujet d’étude ? Son enquête (qui est aussi une passionnante histoire de l’IWW, tant le syndicat constitue une raison d’être de la lutte de Hill) s’est heurtée à la difficulté de retracer la biographie de Joe Hill de manière linéaire. « Une brassée de faits solides, quelques fortes présomptions et une pleine valise de conjectures et de suppositions plus ou moins fondées : telle est la substance de la biographie de Joe Hill. » Sur beaucoup de périodes les documents manquent, ce qui n’est pas spécifique à Joe Hill : en butte à une répression féroce et incessante, les militants ouvriers avaient, si l’on peut dire, d’autres chats à fouetter que de s’attacher à promouvoir leur biographie pour leurs laudateurs futurs. Quant aux archives de l’IWW, elles furent détruites par le gouvernement fédéral, ce qui montre bien le mépris avec lequel les classes laborieuses étaient alors traitées aux États-Unis. Chanteur, musicien, dessinateur, humoriste, militant ouvrier, Joe Hill, condamné à mort pour un crime qu’il a toujours nié (un « meurtre judiciaire » selon Franklin Rosemont), a inspiré tout un pan de la gauche américaine, notamment le Flower Power, cette gauche antiautoritaire qui fait heureusement pendant aux démagogues de droite extrême comme les Busch ou Trump. L’une des plus sympathiques voix américaines vient donc de Suède…
* Franklin Rosemont, Joe Hill, Bread, roses and songs (Joe Hill. The IWW & the Making of a revolutionary workingclass counterculture, 2002), trad. de l’am. Frédéric Bureau, préf. Fred Alpi, CNT-RP, 2015
La Grande saga des Vikings, de glace et de feu
On découvre dans son bel ouvrage, La Grande saga des Vikings, de glace et de feu, que Christophe Rouet, journaliste et ethnologue, sait faire preuve d’érudition. Il l’agrémente d’exemples de toutes sortes et notamment iconographiques pour conter à grands traits (les volumes à ce sujet ne manquent pas) l’histoire des Vikings et leur installation en diverses régions du monde, dont évidemment la France. L’approche se veut vulgarisatrice et c’est ce qui en fait son intérêt. Rouet n’hésite pas à montrer des étiquettes de camembert ou des affiches de films pour attester de la prégnance du mythe viking au cours de l’histoire récente et jusqu’à aujourd’hui. De fait, son livre ne manque pas d’humour (comme lorsqu’il convoque d’« intrépides guerriers réveillés par quelques chamans venus des glaces » pour sauver la tapisserie de Bayeux de la convoitise nazie). « ...Le consumérisme du Nord s’est adapté depuis une vingtaine d’années à la mode ‘bio’, le Viking serait-il devenu un ‘bobo’ ? » ose-t-il même demander. Une Grande saga originale qui, de 793 à 1066, de la Norvège et du Danemark à l’Islande et à l’Amérique du Nord, couvre l’ensemble du phénomène viking. Regrettons toutefois la conclusion, qui voit une collusion entre les Vikings et les « réprouvés » de l’écrivain nationaliste allemand Ernst von Salomon, chantre des sinistres Corps francs (assassins de Rosa Luxemburg). Rappelons que nombre d’études montrent que les Vikings étant autant des commerçants que des guerriers et que les femmes tenaient un grand rôle dans le fonctionnement de leur société.
* Christophe Rouet, La Grande saga des Vikings, de glace et de feu, De Borée, 2020
Le Nord de la Renaissance
Si « la Scandinavie était demeurée globalement fermée aux étrangers du Moyen Âge », durant la période de la Renaissance le Nord reste une notion floue pour les dirigeants des royaumes européens. Où commence cette contrée, où s’arrête-t-elle ? Qui la peuple ? Comment même la dénommer : le Septentrion ? les terres boréales ? la Scandinavie ? Des animaux terrifiants veillent-ils sur ses frontières ? Dans les années 1530, par exemple, à Venise, l’un des centres actifs de la vie intellectuelle européenne, « le Septentrion scandinave n’était (…) pas sans convoquer de plaisantes virtualités oniriques. » Des cartes commencent à être éditées – comme celle, en 1539, du Suédois Olaus Magnus, la fameuse Carta marina, « regard catholique sur la chrétienté de la fin des années 1530 » (pour contrer l’« hérésie » luthérienne) avec le Nord placé en haut (il pouvait être en bas, sur les cartes, là où était supposée se situer l’enfer), qui fait enfin de la Scandinavie une péninsule et non plus une île. Elles représentent un monde effrayant, des monstres y figurent, censés vivre dans les lacs et les montagnes et surtout dans les mers environnantes. Les Lapons qui habitent la région sont en voie d’évangélisation – étrange population aux mœurs peut-être pernicieuses ou peut-être rigoureuses, c’est selon les chroniqueurs. Qui ose s’aventurer sur une terre aussi inhospitalière ? Olaus Magnus, le Linné de son époque d’après des voix autorisées, publie ensuite Historia de gentibus septentrionalibus... (1555), un ouvrage qui révolutionne la façon de voir le Nord. Une somme. Les informations, vraies ou moins vraies, y foisonnent, pas loin d’un millier de pages pour aborder tous les sujets censés intéresser les érudits et les puissants de l’époque : météorologie, géographie, architecture, histoire naturelle, commerce, ou encore paganisme et géants... Dans son remarquable travail universitaire, Le Nord de la Renaissance, sous-titré La Carte, l’humanisme suédois et la genèse de l’Arctique, Pierre-Ange Salvadori (né en 1994 !) répertorie les diverses mappemondes, planisphères et autres cartes qui ont figuré le Nord de l’Europe à cette période et montre l’hétérogénéité de leurs lectures. Les renseignements fournis ne sont pas que spatiaux, mais également culturels, historiques, économiques, politiques... Jusqu’à établir la vision d’un « englobement du monde », autrement dit le monde comme un globe terrestre, mais aussi comme un tout, une globalité, un ensemble (on peut parler de nos jours de « globalisation ») – avec le Nord comme point d’ancrage. « L’affirmation d’une sursacralité de la Scandinavie prend place dans une lutte entre Réforme et Contre-Réforme pour la confessionnalisation de l’espace... » note l’auteur. La région pourrait être ainsi « le lieu d’accomplissement des plus hautes vertus chrétiennes, de la plus pure innocence, de l’honnêteté et de la sagesse... » Pierre-André Salvadori trace la biographie des frères Johan et Olof Månsson, dits Johannes et Olaus Magnus, instigateurs d’un confessionnalisme catholique opposé à la progression de la foi luthérienne en Europe. Puis évoque la figure, parmi beaucoup d’autres, de Guillaume Postel, Normand à l’origine de la « projection polaire » cartographique... Réforme et contre-Réforme, guerres, complots, unions et luttes religieuses et politiques. Le siècle est propice aux savoirs nouveaux et donc aux changements dans tous les domaines. La Suède rompt avec la domination danoise, de nouveaux rapports de force se mettent en place. La fin de l’Union de Kalmar (il y a exactement un demi-millénaire) rebat les cartes – et notamment géographiques. « Sur la carte de l’Europe, elle-même en pleine reconstruction, la Suède de la Renaissance devait donc se trouver une place », relève Pierre-Ange Salvadori. L’humanisme européen démarre, initialement axé au sud, alors qu’au nord un phénomène adjacent s’observe, avec l’expression « Norden » de plus en plus souvent utilisée pour distinguer l’interaction régionale. Par ailleurs, le paradis biblique occupe enfin une localisation sinon déterminée, au moins plus précise que naguère : peut-être autour du Golfe de Botnie (Västerbotten, Norrbotten et Ostrobotnie), peut-être au Pôle magnétique, mais au Nord – placé, donc, sur les cartes, dorénavant, comme une couronne sur le reste du monde. La Suède, pays des Goths, devient subitement « le royaume le plus étendu du monde » et « le lieu d’origine de l’humanité et du savoir », lui permettant, car les légitimant, des visées expansionnistes. En parallèle, le pragmatisme nordique se développe, expliquant, accessoirement, l’absence de grands noms dans le registre de la philosophie, alors que tous les arts sont pourvus par les Scandinaves. « La population nordique n’a (…) pas d’autre choix, pour survivre dans son difficile milieu naturel, que de développer un sens pratique astucieux : les arêtes de poissons servent ainsi de matériaux de construction, la préservation du poisson en l’absence de sel peut se faire en le laissant sécher, le fort enneigement devient un avantage car les skis permettent d’accélérer les déplacements l’hiver... » Voici un bel ouvrage de presque 1 000 pages pour représenter la place, en grande partie imaginaire, des régions les plus septentrionales de l’Europe dans la pensée et le terrain du religieux et du politique durant la Renaissance. Et jusqu’à aujourd’hui, peut-on ajouter, tant cette vision, en construction et longtemps largement erronée, détermine notre conception d’un Nord toujours en grande partie onirique. Les « voyages dans le Nord » sont ensuite devenus fréquents, au fur et à mesure que des voies de communication terrestres s’ouvraient, des savants ont tenu à conforter sur place leurs hypothèses. Mais jusque récemment était interdit ce que l’on appelle le tourisme de masse. Aujourd’hui, l’intérêt pour la région septentrionale de l’Europe est relancée, notamment afin de contrôler le passage du Nord-Est, avec les porte-containers en provenance d’Asie et en direction de l’Atlantique. Malgré son éloignement géographique, la Chine prétend avoir voix au chapitre. En 2021, la Russie multiplie les exercices militaires dans et sous l’Arctique afin d’affirmer sa suprématie. Les préoccupations écologistes sont ignorées. La péninsule de Kola n’est qu’une immense décharge à ciel ouvert, les déchets nucléaires abondent. (Ah, imaginer cette zone et l’ensemble de la Laponie comme une gigantesque réserve naturelle !) Région stratégique quelque peu préservée malgré tout, le Nord de l’Europe reste aussi relativement méconnu que convoité. Pierre-Ange Salvadori publie avec Le Nord de la Renaissance ce qui sera forcément un ouvrage de référence sur cette région du monde – et sur cette époque, mais aussi, par rebond, ceci expliquant cela, sur le Nord d’hier et celui de l’époque contemporaine. En dépit de l’ampleur du sujet, peu traité, et de la profusion de références avec lesquelles l’auteur jongle, des notes en bas de pages en quantité et des traductions multiples, le moindre intérêt de cet ouvrage n’est pas qu’il se lise quasiment comme un roman. Comment en rendre compte autrement que par un résumé bien trop succinct, sinon en en conseillant vivement la lecture tant l’érudition si intelligemment dispensée, en ces temps de pandémie et de repli sur soi, est bienvenue et bienfaisante.
* Pierre-Ange Salvadori, Le Nord de la Renaissance, Classiques Garnier (Bibliothèque d’histoire de la Renaissance), 2021
Mon été 1805 en Europe du nord à la rencontre des Anti-hespérides
Originaire d’un village de Saxe et fils de paysans, Johann Gottfried Seume (1763-1810) fréquente l’université de Leipzig, avant d’être recruté de force par des Prussiens, puis d’être envoyé en Amérique à la fin de la guerre d’Indépendance. Il déserte, rentre en Saxe et s’engage dans l’armée russe, avant de devenir correcteur pour un éditeur allemand. Poète, volontiers philosophe, partisan d’une « humanité éclairée » et de « l’égalité des droits et des devoirs » entre tous les individus, il effectue en 1805 un voyage à pied autour de la Baltique (après d’autres voyages similaires, pour d’autres destinations), qu’il relate et qui est aujourd’hui traduit, préfacé et annoté par François Colson, docteur en études germaniques : Mon été 1805 en Europe du nord à la rencontre des Anti-hespérides (ou Hyperboréens ; volume agrémenté d’un choix de lettres écrites entre 1804 et 1808). « Le genre littéraire auquel il serait possible de rattacher Mon été 1805 est (…) à la frontière du récit autobiographique, du manifeste et du documentaire », note François Colson, qui gratifie le lecteur d’une passionnante biographie très contextualisée de Seume. Toujours humble, « noble cynique » selon l’un de ses contemporains, Johann Gottfried Seume se définirait peut-être aujourd’hui comme un érudit « citoyen du monde », tant lui importe le respect porté à autrui, à l’exclusion des rapports de domination ou de pouvoir. L’esclavage le hérisse, aucune société de bien-être ne saurait s’en accommoder, affirme-t-il : « L’esclavage et le servage sont un mildiou politique, où tout se dessèche et qui ne permet qu’aux seules vénéneuses amanites morales de se développer. » Le récit de son voyage dans les Pays nordiques est d’autant plus pertinent qu’il est précédé d’une description de la vie en Pologne et en Russie. « …C’est l’esprit soulagé que je fis mon entrée en Suède. Aussitôt que l’on passe de l’autre côté, tout prend une allure plus gaie, plus agréable. Comme échelle du degré d’évolution d’un peuple, je prends toujours la campagne ; et nulle part plus qu’en Suède on est immédiatement attiré par le bel aspect extérieur et qui agit de façon bienfaisante… » Ou encore : « Même en Allemagne, on n’a pas idée de la joliesse d’une ferme suédoise. » Et (au tout début du XIXe siècle, rappelons-le, et non au milieu du XXe siècle) : « …On ne trouve peut-être dans aucun pays une culture plus généralisée qu’en Suède. » Conquis par la Suède où il se serait bien vu vivre, Seume poursuit son voyage en passant par le Danemark. Il a ses lettres, il est même un homme de lettres puisqu’il publie divers ouvrages (traduite et commentée par François Colson, son autobiographie, Ma vie, a été publiée en 2011 aux Belles lettres). Tout est pour lui l’occasion de comparaisons et ses avis sont toujours étayés de références historiques ou artistiques puisant dans la mythologie grecque ou romaine, dans l’histoire ou dans la géographie. Ils n’étaient pas contemporains, mais on imagine pourtant fort bien Johann Gottfried Seume devisant avec Élisée Reclus au gré de leurs pérégrinations aux quatre coins du monde et, tous deux, nous guider sur les routes de Finlande, de Suède et du Danemark. Ce livre est une mine de savoir, un vrai régal de lecture.
* Johann Gottfried Seume, Mon été 1805 en Europe du nord à la rencontre des Anti-hespérides (Mein sommer im jahr 1805, 1806), traduit, préfacé et annoté par François Colson, Honoré Champion, 2017
La Saga des Vikings
« Il y a près d’un siècle, les historiens français ont fait l’impasse sur les invasions vikings », est-il écrit en quatrième de couverture de l’essai de Joël Supéry (né en 1965), La Saga des Vikings. Peut-être n’est-ce pas tout à fait vrai, puisque les études sur les Vikings abondent, inégales mais en nombre, et depuis longtemps quelques chercheurs Français ont tenté d’apporter un éclairage nouveau, c’est-à-dire non hostile a priori aux « hommes venus du Nord ». Mais puisque le postulat de l’auteur est de rétablir une vérité historique (en deux mots : les invasions vikings, sur le territoire franc, ne se sont pas limitées à la Normandie), il importe de tracer préalablement un tableau à sa convenance. Thor Heyerdahl ne procéda pas autrement avec sa théorie des Polynésiens venus du Pérou et, en dépit des sourires qu'il suscita, n'avait pas tort. Affirmons que La Saga des Vikings remet effectivement à leur place quelques idées reçues et que les coups de triques verbaux de Joël Supéry à l’encontre des universitaires qui se veulent dépositaires de la vérité officielle n’est pas pour déplaire. À l’université, les disciplines ne se mélangent pas et des erreurs peuvent ainsi se transmettre de génération en génération sans être contestées. Quant aux recherches, elles se doivent d’être menées sous l’égide d’un universitaire, faute d’être validées par ces mêmes universitaires. Or, Joël Supéry (qui appartient au CNRS) entend enquêter à la manière d’un juge d’instruction ou d’un policier, déclare-t-il : en interrogeant les suspects, en remettant en cause les vérités bancales, en tenant de se faire un avis par lui-même. Son hypothèse, l’existence naguère d’« un royaume scandinave en Gascogne » (étayée ici grâce, entre autres, à maintes exemples toponymiques), avec l’idée sous-jacente, pour les Vikings, de progresser jusque sur les rives nord et sud de la Méditerranée, peut être entendue. Dans cette optique, Joël Supéry affirme que « les invasions vikings ont été une des plus fantastiques guerres commerciales de l’histoire ». Selon lui, elles ne relèvent pas de pillages occasionnels, mais d’une stratégie de conquête de terres nouvelles afin d'obtenir de nouveaux marchés. Leur succès s’explique par les alliances nouées avec des rivaux des rois en place ou, plus généralement, avec une partie de la population locale qui voyait là le moyen de se débarrasser de têtes auto-couronnées plutôt encombrantes. Ces invasions peuvent, dans certains cas, être assimilées à des luttes de libération nationale, avance-t-il encore, et c’est ce qui explique en partie cette succession de victoires que les Vikings ont remportées presque trois siècles durant. De fait, Joël Supéry en vient à nous présenter les Vikings comme des marins soucieux d’abandonner leurs pratiques consistant à amasser des butins, pour établir des comptoirs commerciaux sur les rives des mers et océans alors connus. Conclusion qui peut laisser sceptique ou qui peut paraître alléchante. Non spécialiste de cette période, nous ne troncherons pas.
* Joël Supéry, La Saga des Vikings (préf. Michel Onfray), Autrement (Universités populaires & Cie), 2018
Au temps des Vikings
Professeur d’histoire médiévale, Anders Winroth (né en 1965) nous offre avec ce livre, Au temps des Vikings, un fabuleux voyage dans le temps. « Le chef de guerre prit enfin place sur son haut siège. Installés sur des bancs le long des murs de la grande maison-halle chauffée par un feu crépitant, les guerriers, impatients, buvaient de l’hydromel sans modération. » Ainsi officie l’auteur : en conviant le lecteur à le rejoindre sur place – ou quasiment. Ou lui donnant à voir les divers personnages dont il lui conte la vie – ou ce qu’on en sait. Les maisons-halles des Vikings étaient le lieu où les prochaines expéditions se préparaient. Les conquêtes débutaient là, avec la répartition des rôles. « C’est durant les beuveries et les banquets, à travers l’échange des dons, que se formaient les liens de loyauté et d’amitié. » Anders Winroth relate ensuite l’épopée des Vikings en Europe et ailleurs dans le monde, rappelant qu’ils furent les premiers Européens à accoster sur le sol nord-américain. Il n’omet pas non plus le fait que l’histoire des Vikings a principalement été racontée par leurs ennemis, ce qui explique que les portraits soient toujours à charge. Encore aujourd’hui, alors qu’une mode Viking sévit, notamment au cinéma et dans la bande dessinée et les jeux vidéos, seule est retenue l’ardeur au combat et la violence dont ils auraient fait preuve. Force est de reconnaître que les Vikings pouvaient se montrer féroces. Comme, alors, tous les Européens, ils pratiquaient l’esclavage (« …les Scandinaves furent de grands marchands d’esclaves au temps des Vikings »), subissant eux-mêmes ce sort de temps à autre (« les Scandinaves eux-mêmes pouvaient être réduits en esclavage ». Mais ils contribuèrent plus encore à l’apport de richesses dans les contrées scandinaves, où la vie quotidienne n’était pas des plus paisibles comme Anders Winroth le relève, et, à partir du XIIe siècle, participèrent à la construction de monarchies, à l’instar de celles qui existaient en Europe occidentale, permettant ainsi aux Pays nordiques de prendre place dans la société de leur temps. Anders Winroth s’attarde ensuite sur la signification des runes, avant de conclure par l’art et la culture vikings. « …Ce qui a survécu de la poésie, des arts décoratifs et visuels, ou encore des récits, nous apprend que le temps des Vikings ne fut pas seulement une époque de raids, de pillages et de guerre. Les scandinaves possédaient un sens de la beauté et un goût pour la poésie et ont su créer des styles tout à fait originaux, à la fois dans les arts et dans la littérature, sans véritable équivalent dans le reste de l’Europe. » Que d’érudition dans cet ouvrage passionnant !
* Anders Winroth, Au temps des Vikings (The Age of the Vikings, 2014), trad. de l’anglais (États-Unis) Philippe Pignarre (préf. Alban Gautier), La Découverte, 2018
Revue d’Histoire nordique
Un sommaire alléchant et éclectique, pour le numéro 21 de la Revue d’Histoire nordique, autour du thème : « Peuples et pouvoirs et Europe du Nord ». Que l’on en juge : « Dépositions dans l’ancienne Scandinavie médiévale – modes d’action et stratégies de légitimation » (Charlotte Rock), « La nation norvégienne engendrée par la faim » (Frederike Felcht), « La rude tâche de contrôler l’Atlantique nord/L’État danois et ses dépendances de l’Atlantique nord au XVIIIe siècle » (Christina Folke), « L’histoire revisitée : le Göticisme ou l’affirmation de la primauté du Nord » (Jean-François Battail), etc. Du très bon niveau, pour se pencher sur des points d’histoire méconnus, pour creuser le savoir.
* Revue d’Histoire nordique n°21, Université Jean-Jaurès, Toulouse, 2015
Vikings !
Qui sont les Vikings pour nous, aujourd’hui ? C’est à cette question que répond cet ouvrage, Vikings, à la très riche iconographie, publié par les Moutons électriques, maison d’édition bordelaise. Sous la direction de Laurent de Filippo, universitaire spécialiste des mondes ludiques, les articles historiques encadrent ceux décrivant le phénomène d’aujourd’hui, à savoir les Vikings dans la littérature, la bande dessinée, le cinéma, les jeux vidéos... Les sagas islandaises leur sont souvent associées et fournissent elles aussi matière à maintes déclinaisons. « Malgré les difficultés que soulève le fait qu’elles rapportent souvent des événements bien antérieurs au temps de leur rédaction, les sagas restent des sources inestimables pour étudier les sociétés scandinaves anciennes », observe Simon Lebouteiller, docteur en histoire médiévale, traducteur et spécialiste de la Scandinavie. Les films qui font le bonheur des geeks puisent dans cette littérature, réactualisée si besoin est : songeons aux ouvrages du danois Villy Sørensen ou du britannique Neil Gaiman. Enseignante et spécialiste de la culture viking, Caroline Olsson montre combien « la période est à la fois suffisamment bien et mal connue pour laisser une grande liberté artistique à celles et ceux qui désirent l’exploiter ». Le guerrier viking sera idéalisé ou ramené à son rang de combattant sans gloire, selon l’auteur en question, selon le public attendu également. « Ce n’est pas tant l’influence de l’univers de la fantasy dans ces créations et leur attirance pour l’exotisme et le divertissement qui posent problème, mais les discours qui accompagnent la promotion de ces œuvres et qui vantent leur soi-disant réalisme historique », continue Caroline Olsson. Car il faut faire le tri, en effet. Les Vikings apparaissent non seulement affublés de casques à pointes et circulent dans des « drakkars » (aucun navire viking ne portait ce nom, une invention d’un journaliste au XIXe siècle), mais sont d’une férocité sans égale, à même de ravir une extrême droite avide de hauts faits guerriers (cf. à ce sujet le récent ouvrage de Stéphane François, Une Avant-garde d’extrême droite, éd. La Lanterne) pour inspirer des militants disons un peu frustres, que l’horizon de la bagarre fait rêver. Cet ouvrage ne fait pas l’impasse sur cette récupération et c’est tant mieux. « L’idéal souvent hypermasculinisé et belliqueux qui se dégage encore d’un grand nombre d’évocations actuelles ayant pour sujet les Vikings est remis en question », note encore l’historienne. L’article suivant, signé Barbora Davidek, montre d’ailleurs que nombre de héros vikings sont en fait des héroïnes. Les Vikings vivaient dans une société où femmes et hommes entretenaient des rapports relativement égalitaires. « ...Il pourrait être utile de s’interroger sur la pertinence des répétitions de certains types de violence, notamment sexuelle, dans une grande partie des films et séries à thématique viking. » La médiatrice culturelle présente la série télévisée Norsemen (Vikingane, 2016), qui prend le contre-pied des valeurs souvent attribuées aux Vikings en les montrant dans des situations peu avantageuses. La bande dessinée a beaucoup contribué à véhiculer d’eux des images farfelues (cf. la série Hägar the horrible, de Dick Brown, Hagar Dunord en français). Étudiant les jeux vidéos, Yohann Guffroy fait un constat similaire avec les runes : leur mention, sur Internet ou ailleurs, « semble laisser penser que l’imaginaire contemporain lié à ces symboles graphiques est uniquement entraîné vers l’ésotérisme, vers la capacité des runes à nous prédire l’avenir si nous savons les déchiffrer. » Enfin, Simon Theodore analyse, lui, « Les Vikings et les dieux du Nord dans la musique metal » (rappelons la parution il y a peu du livre de Baptiste Pilo, Un Feu dans le ciel nordique, Riveneuve, 2022) : la mythologie nordique est souvent un relais idéologique pour des groupes musicaux liés de près ou de loin à l’extrême droite. « Le viking metal : un phénomène identitaire complexe. » Jules Piet se penche, lui, sur « la cosmologie mythique scandinave dans la culture geek », abordant « l’impact de la cosmologie mythique scandinave sur les origines de la fantasy, son utilisation dans le contexte ludique des jeux de rôles et des jeux vidéo, et enfin, son adaptation dans des contextes non médiévalisant, en particulier la science-fiction » (Le Seigneur des anneaux de Tolkien est évoqué dans plusieurs articles de ce livre.). Puis William Blanc s’intéresse au Crépuscule des dieux de Wagner, s’insurgeant contre les récupérations nazies de la mythologie nordique et de l’imaginaire viking. Excellent ouvrage, que ce Vikings, qui parvient à se démarquer des divers volumes conséquents parus ces dernières années sur le sujet (de Anders Winroth, Gunnar Andersson ou Pierre Bauduin à Lucie Malbos), prenant place dans une vulgarisation bien menée. S’il commence par confondre, dans ses légendes, la gauche et la droite (trésor et tête d’animal, au début), il retombe sur ses pieds et propose une série d’articles présentant un monde viking très présent dans l’imaginaire contemporain. Manque juste, peut-être, un chapitre sur les innombrables titres à destination des très jeunes lecteurs, de qualité variable. Le sujet est donc loin d’être épuisé.
* X, Vikings, Les Moutons électriques, 2022
Des Vikings et des Normands
Publié à l’occasion de l’exposition « Des Vikings et des Normands », au Musée de Normandie de Caen du 1er avril au 1er octobre 2023, ce catalogue éponyme est consacré au thème « Imaginaire et représentation » des hommes du Nord sur la terre de France. Il s’attache à différencier Vikings et Normands (avec ou sans majuscules), lesquels, s’ils se partagent un même territoire, ont des origines et des trajectoires différentes. « De Viking à Normand : un mythe vieux de mille ans ! » (Stéphane Lecouteux) D’aucuns diront « Danois », voire « étrangers », « barbares », païens », pour les désigner... Litiges sémantiques qui sont aussi le reflet d’approches divergentes, notamment en fonction des époques. « Dans un jeu de regards croisés posés par des chercheurs de différents pays d’Europe, le vocabulaire, les définitions et les traductions ont donné du fil à retordre aux historiens, d’autant plus que, dès les premiers témoignages manuscrits, leurs personnages se sont échappés dans des constructions idéologiques ou imaginaires propres à chaque période et chaque champ culturel », écrit ainsi Jean-Marie Levesque. Des spécialistes de l’Europe médiévale et nordique ont mis leur plume à contribution : citons Martin Bostal, Simon Lebouteiller, Franziska Lichtenstein, Caroline Olsson, Laurence Rogations (qui rappelle que durant les années 1880-1890, il exista quasiment une « colonie nordique » à Paris), etc. L’artiste Gerhard Munthe (1849-1929), « l’un des premiers designers norvégiens à œuvrer dans la production industrielle », est présenté par Widar Halén. Les préjugés qui accompagnent les représentations théâtrales d’auteurs scandinaves sont disséqués par Laurence Rogations. Le portrait du peintre Évariste-Vital Luminais (1821-1896) est tracé par Giula Longo. Les Vikings, aujourd’hui sont partout, servis, si l’on ose dire, à toutes les sauces : bandes dessinées (cf. l’article de Alban Gautier), séries télévisées, films à gros budget, musique « metal » (Caroline Olsson), etc., au point d’agacer les spécialistes, historiens ou non. Cela ne date pas d’hier, « l’archéologie de la période viking (…) devient aussi une source inépuisable d’inspiration pour les marques commerciales et les objets publicitaires les plus divers dès le début du XXe siècle » (Jean-Marie Levesque). Comme le rappelle quant à lui Pierre Bauduin, « le phénomène viking est amplement discuté par les historiens depuis le XIXe siècle. (…) Nous pouvons nous demander quand sont nés les vikings, en tant que catégorie historicisée (…), mais aussi comme figures familières d’une culture partagée par une fraction plus large de la population. » Ce n’est qu’au début du XIXe siècle, ajoute le professeur d’histoire médiévale à l’Université de Caen, que « les vikings s’insèrent (...) dans le roman national, épousant les fractures et les aspirations contemporaines... » Arrêtons là, bien des pages de cet ouvrage mériteraient d’être citées. Très richement illustré, notamment avec des reproduction de toiles et des photographies des objets exposés au Musée de Normandie prêtés par diverses institutions française, mais aussi danoises, norvégiennes et suédoises, il prolonge intelligemment l’exposition. Son intérêt dépasse largement le cadre de la seule région normande.
* X, Des Vikings et des Normands, Musée de Normandie/Ouest-France, 2023